100% Création poursuit sa série estivale, en neuf épisodes, consacrée aux artisans d'art du Mobilier national. La manufacture de la Savonnerie, spécialisée dans le tissage de tapis de velours, est rattachée depuis 1826 au site des Gobelins. Elle possède deux ateliers, l'un à Paris et l'autre à Lodève. Cet épisode est consacré à Justine Héricourt, licière à la manufacture de la Savonnerie.
Elle préserve à la fois des savoir-faire ancestraux tout en explorant continuellement de nouvelles interprétations artistiques. Son métier exige aussi une grande précision, une capacité à collaborer étroitement avec des artistes, et une attention constante aux détails. « Je passe mon temps à faire des choses. J'adore récupérer. Parfois, ce sont des cartons pour faire des petites constructions miniatures. J'adore faire du tricot. Les activités manuelles, cela a toujours fait partie de ma vie », confie Justine Héricourt. La jeune femme est licière à la manufacture de la Savonnerie au sein du Mobilier national :
« Pour moi, c'était important de continuer parce que c'est quelque chose qui me fait du bien, qui me vide la tête, qui me permet aussi de me recentrer sur l'instant, sur ce que je fais, sur ce que je suis. Pour moi, c'est important de pouvoir continuer de créer des choses avec des matières simples de tous les jours et de voir comment quelque chose de très simple peut devenir quelque chose de grand et de très beau. »
Originaire de Pontoise, en Île-de-France, Justine Héricourt a nourri très tôt une fascination pour l'artisanat et les techniques manuelles, encouragée par sa famille. Sa passion pour le textile l'a conduite à faire un bac littéraire avec une option en arts plastiques, puis à s'intéresser aux métiers d'art. La découverte du Mobilier national, cet espace où patrimoine historique et création contemporaine se rencontrent, a été pour elle une révélation :
« J'avais l'impression d'apprendre quelque chose qui existait il y a des siècles et des siècles, l'impression d'être dans un monde très contemporain où tout va très vite, avec la technologie, le numérique. Face à toute cette technologie, le fait de revenir à quelque chose de plus ancien et qui perdure dans le temps, c'est ce qui m'a frappé. Je me suis dit que j'avais envie de travailler là-dedans. J'avais envie de continuer à perpétuer ça et j'avais aussi envie, avec le temps, de transmettre cette technique et ces savoir-faire qui sont importants et qui parfois se perdent. Ici, nous avons la possibilité de prendre le temps de faire les choses, d'avoir des projets énormes et de travailler avec des artistes très connus ou un petit peu moins, mais d'avoir ces échanges à la fois anciens de par la technique et en même temps très ancrés dans notre époque, avec tout le côté création contemporaine, l'échange artistique et tout ce qu'il y a autour. »
Entrée dans l'institution par concours, Justine Héricourt a choisi la manufacture de la Savonnerie, fascinée par la technique du velours tissé à partir de laine : « La technique de la Savonnerie consiste à faire des rangées de points noués en tapis. Le velours que nous voulons s'obtient avec la coupe de la laine qui correspond au cœur de la laine une fois coupée. Pour pouvoir la couper et que cela se maintienne, nous allons faire des points noués, sur une rangée complète, sur l'équivalent de deux fils. Comme nous avons deux chaînes, une chaîne avant, une chaîne arrière, nous faisons des points noués pour venir bloquer avec des fils de lin pour bien tasser, pour permettre que les points ne se détachent pas par la suite. Il faut que cela soit solide. Un tapis a pour vocation d'être au sol. On marche dessus, donc forcément, le tapis peut vite être abîmé. Donc il faut qu'il soit assez consistant, assez solide, et pour cela, nous avons besoin de densité. La duite et la trame permettent de bien maintenir chaque rangée et chaque point une fois coupées. Une fois la structure de la trame et de la duite mise en place, nous allons tondre chaque point. Ce sont des petites boucles qu'on vient tondre avec des ciseaux pour obtenir le velours du tapis. »
La recherche constante d'interprétation et de retranscription des œuvres d'art demande une créativité et une adaptation. Pour Justine Héricourt, la laine, avec ses contraintes, lui permet d'apporter sa touche personnelle : « En tapis, nous n'avons que la laine qui peut apporter le velours désiré. Ce que j'aime énormément dans cette technique, c'est de retrouver des projets où on se pose la question ''comment on va pouvoir retranscrire ?''. C'est-à-dire, sur une photo ou sur des compositions avec des parties un petit peu brillantes, un petit peu dorées, comment rendre l'effet doré avec de la laine ? Il y a de très belles couleurs, très vives, mais cela reste mat. Nous ne pouvons pas avoir certains effets de matière, et j'aime passer mon temps à chercher comment je peux retranscrire les différentes textures. Nous avons plein de possibilités, mais une seule matière. Et avec une matière, nous avons des possibilités. Je n'arrive pas à m'ennuyer de mon métier parce que dès que je me retrouve bloquée, en cherchant, je me rends compte que nous avons encore plein d'autres options. Et c'est pouvoir explorer ces options-là qui m'intéressent le plus. Savoir comment interpréter. »
Pour réaliser des tapis, Justine Héricourt passe par plusieurs étapes : du travail du carton, à la teinture, puis au tissage et à la finition. « Il y a une phase d'échantillonnage, une phase test, une phase test de couleur où on tisse pour se rendre compte de ce que va rendre la laine, ou du moins les couleurs au contact les unes des autres sur une certaine surface. Sur un petit pompon, on va avoir cette couleur-là, mais tissée sur une certaine surface, la couleur peut changer de manière un peu subtile. Mais elle change. Ensuite, il y a la phase d'essai, où on va prendre certaines parties un peu stratégiques du carton pour régler les problématiques d'interprétation. On va proposer plusieurs interprétations possibles, avec des chinés, des mélanges de couleurs entre elles, avec des aplats, des piqués qui vont être des mélanges de couleurs entre elles, mais qui vont, comme le dit le terme, plus piquer à l'œil, qui vont être beaucoup plus visibles là où les chinés vont permettre de faire des passages de couleurs et des dégradés beaucoup plus subtils. Nous allons proposer plusieurs interprétations. C'est une discussion qu'on va avoir avec le chef de pièce et dans l'équipe, et avec le chef d'atelier, et après en discutant avec l'artiste où, effectivement, le but n'est de ne pas dénaturer son travail. Même si sur une retransposition, nous réinterprétons. Cela restera différent. Nous écoutons ce que lui ou elle a à dire et ce qu'il ou elle souhaite par rapport à son œuvre. Nous effectuons un travail en collaboration », explique Justine Héricourt.
Selon les projets, Justine Héricourt fait partie d'une équipe restreinte, souvent entre trois et cinq personnes. Elles travaillent en étroite collaboration pour garantir la qualité et la fidélité aux œuvres d'origine. Les archives ou des tapis de la même époque sont indispensables quand il s'agit de reproduire un motif historique :
« C'est un retissage d'un tapis qui a existé, qui a disparu. Il y a eu plusieurs retissages, mais on n'a jamais retrouvé d'exemplaire de ce tapis, donc on n'a pas de référence visuelle du tapis en lui-même. On a juste une esquisse à la BNF des peintres cartonniers de l'époque, de ce à quoi le carton ressemblait dans sa globalité. On connaît plus ou moins les éléments et les compositions qu'il y avait au niveau des différents ornements et éléments du tapis. Mais une esquisse, cela reste flou. C'est pour faire une proposition de projet, ce n'est pas un dessin très détaillé. Les fleurs sont suggérées, mais elles ne sont pas dessinées avec précision. Nous avons des suppositions avec quelques archives et un tapis au château de Versailles, plus ou moins de la même époque. Pour nos essais, nous nous sommes basés sur ce tapis qui est encore à Versailles et qui est en très bon état vu son âge, pour voir les différents mélanges, les calibres de chaine, les interprétations, ce qu'ils avaient pu utiliser pour rendre le style Louis XV. »
Au fil des années, Justine Héricourt a contribué à la préservation du patrimoine artistique français tout en participant à des projets d'envergure. Avec rigueur, patience et sa capacité à se remettre en question, elle a su relever les défis liés aux projets, souvent longs et complexes : « Je pense qu'il faut aussi surtout savoir quand on n'y arrive pas. Parfois, on se retrouve face à un élément ou une zone du tissage où on est perdu. Nous connaissons notre métier mais nous sommes perdus, nous ne savons pas comment faire. Tout nous paraît vite compliqué. Les petites solutions que nous avions en tête mais ne nous paraissent pas être les bonnes solutions. Le plus important, c'est de savoir se remettre en question, parce que cela nous permet du coup de mieux repartir et de mieux se réinterroger et de ne pas se bloquer. Nous avons de multiples solutions. Il faut juste savoir se dire ''ce n'est pas grave, là dans l'immédiat je n'ai pas la solution, je suis un peu perdu''. J'en discute avec les collègues de mon équipe, je réfléchis et cela permet d'avancer, d'apprendre et d'anticiper les prochaines difficultés et d'enrichir aussi notre répertoire d'expériences personnelles pour de futurs projets où on va avoir d'autres problématiques mais dans lesquelles on va pouvoir aussi apporter notre expérience. Se dire : "J'ai peut-être des idées et je peux peut-être apporter des solutions". »
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