100 % Créations vous propose cet été une série consacrée aux métiers d'art du Mobilier national, en neuf épisodes. Depuis le 1ᵉʳ janvier 2025, cet établissement prestigieux, sous tutelle du ministère de la Culture, rassemble le Mobilier national et la Cité de la Céramique de Sèvres & Limoges, formant ainsi un véritable pôle d'excellence dédié à la conservation, restauration, création et transmission des savoir-faire d'exception.
Au fil de cette série, nous explorerons les coulisses de ces ateliers où plus de 300 artisans, techniciens d'art, restaurateurs et créateurs œuvrent chaque jour pour préserver et faire vivre le patrimoine mobilier et décoratif français. Des tapissiers aux lustriers, des teinturières aux inspecteurs des collections, chaque métier raconte une histoire, une tradition, mais aussi une vision d'avenir. Au sein du Mobilier national deux techniques de tapisserie coexistent la haute lice sur un métier vertical et la basse lice sur métier horizontal. Le principe est cependant le même : les fils horizontaux colorés dit fils de trame viennent couvrir un rideau vertical de fils de chaîne en laine ou coton écru. Aujourd'hui, nous avons rendez-vous à l'atelier Tapisserie avec Julia Blain, cette licière réalise des tapisseries souvent monumentales, en utilisant des techniques traditionnelles de la haute lice. Elle participe aussi à la création contemporaine en collaborant avec des artistes et designers pour donner vie à des œuvres uniques tout en respectant un savoir-faire ancestral.
La création m'anime, cela a toujours été, mais la création pour moi, ce n'est pas que faire des œuvres d'art monumentales comme les tapisseries ici.
Julia Blain, technicienne d'art, artiste licier.
La création, c'est un tout, dans ma vie. Je ne pourrais pas vivre sans créer. J'ai besoin de cela au quotidien. Je le fais ici. Je crée aussi des choses pour moi à l'extérieur. Cela fait partie de moi et je pense que cela fait partie de beaucoup de personnes qui travaillent au Mobilier national.
Née à Strasbourg, Julia Blain, fille de militaire, a beaucoup bougé pendant son enfance. Le textile fait partie de sa famille, avec notamment des grands mères dentellières et un frère styliste. Après son baccalauréat littéraire, elle intègre les Beaux-Arts où elle confirme son attrait pour le textile. Elle consacre son sujet de mémoire d'étude à la manufacture des Gobelins. Curieuse et déterminée, elle décide d'en faire son métier en se spécialisant dans la tapisserie.
" J'avais six ans d'études derrière moi. Cela correspondait à quatre ans supplémentaires. Mais, c'était une continuité dans mon parcours et dans ma vie. J’ai foncé parce que c'était l'opportunité aussi d’approfondir mes connaissances et d'avoir une stabilité au niveau du travail par la suite. "
Avant d'intégrer la manufacture des Gobelins en 2017. Julia Blain y commence une formation en apprentissage.
« Il y a des visites qui sont organisées par la formation et je pense que c'est bien de faire ces visites parce que nous visitons un peu tous les ateliers qui vont recruter et cela permet vraiment de voir, pour de vrai, ce qui se passe dans les ateliers et voir si cela peut correspondre à nos attentes et nos envies, si on peut se projeter dans ces milieux-là. Cela permet aussi de voir les techniques pour de vrai, parce qu'on imagine beaucoup de choses, fantasme beaucoup de choses et comme ce sont des techniques, je dirais peut-être un peu gardées secrètes, c'est bien de faire ces visites avant de passer les recrutements. Après, pour ce qui est du recrutement, il faut envoyer une lettre de motivation. Il y a un dossier à faire avec ce qu'on aime produire. Ce n'est pas porté uniquement sur la création textile, bien au contraire, ça peut être simplement du dessin ou même son passe-temps comme faire de la restauration de livre. Ce que veut voir le jury, c'est la créativité du candidat, ses envies, ses ambitions. Il y a même des gens qui rentrent et qui n'ont jamais dessiné. Ils apprennent lors de la formation. Il n'y a pas de barrières. Mais, le jury veut voir la curiosité du candidat. »
Julia Blain choisi la haute lice. Une technique qui lui permet de voir toute l'ampleur de son travail et d'exprimer sa créativité. Elle travaille aujourd'hui dans l'atelier tapisserie avec une quinzaine d'autres liciers impliqués dans la création et la restauration de grandes œuvres textiles en équipe et sur des projets ambitieux.
« La tapisserie de manière générale, c'est un travail d'équipe. Nous sommes au minimum deux jusqu'à quatre, cinq, six. Ça va dépendre de la pièce, mais il y a aussi des pièces où on est seul. Ce qu'il faut, c'est pouvoir réaliser le dessin et pour ça, il y a des conditions à remplir. C'est à dire que la façon dont est faite la composition sur le dessin ne va pas permettre plusieurs personnes, parce qu'en tapisserie on ne monte pas rang par rang. Ce n’est pas linéaire, c'est un remplissage de formes qui s'imbriquent les unes sur les autres. C'est une espèce de Tetris. Et pour que ça fonctionne, il faut qu'il y ait des creux et des pleins dans la tapisserie pour être à plusieurs. Si cela n’est pas possible, il va y avoir qu'une seule personne sur la tapisserie. »
« La tapisserie précédente sur laquelle je travaillais il y a encore peu, mesurait deux mètres 20 par deux mètres 20. C'est considéré comme une tapisserie relativement petite ou moyenne. Nous étions deux dessus. Nous l’avons terminée et je suis passée sur une tapisserie du Danemark qui fait six mètres de long. Donc, on varie vraiment au niveau des tailles. Tout va dépendre du projet. Tout va dépendre aussi du modèle parce qu’il y a des modèles qui ne vont pas se prêter forcément à du grand format monumental parce que ça ne va rien apporter de supplémentaire, autant rester sur un format un peu plus réduit, avoir quelque chose d'un peu plus précieux, mais qui va prendre toute son ampleur et toute son importance dans un lieu. »
La complexité des formats, leurs tailles nécessite une dynamique collective dans l'atelier où l'entraide et la cohésion sont indispensables. Julia Blain apprécie ce travail en équipe.
« Je pense que s'il n'y avait pas une bonne dynamique au sein de l'atelier, le travail ne serait pas aussi agréable. Nous avons besoin d'entraide aussi au sein de cet atelier. C'est-à-dire que on a quand même des métiers à tisser qui sont monumentaux. On fait toutes les manipulations toutes seules, on monte un métier de A à Z toutes seules. Nous avons, donc, besoin de nous entraider énormément. Et donc si on n'avait pas un esprit de cohésion important, on ne pourrait pas avancer comme on avance. Pour cela, je peux remercier aussi mes collègues parce que même si on ne travaille pas ensemble sur les mêmes tapisseries, le fait d'avoir le regard d'une autre collègue sur ce qu'on vient de faire, sur les questions qu'on se posent, c'est très important, parce que ça permet d'avancer et même de magnifier le rendu final. »
Avant de commencer une tapisserie, Julia Blain a recours au carton de tapisserie. Celui-ci indique la composition, les motifs et les couleurs. Il est agrandi aux dimensions de la tapisserie et ce grand patron sert de modèle au licier.
« Il y a des commissions de cartons qui se réunissent pour l'achat des cartons, ce que j'appelle les cartons, c'est les modèles. Les modèles appartiennent à l'État, donc forcément, il y a une commission avec des professionnels, des membres de l'administration, des chefs d'atelier qui vont se réunir pour choisir ces modèles parce qu'il faut bien évidemment que le modèle se prête au textile. C'est la première étape et après c'est distribué dans les différents ateliers. Nous, quand cela arrive dans l'atelier, la dimension est déjà à peu près établie et c'est le chef d'atelier qui propose à un chef de pièce. Le chef d’atelier va choisir une de mes collègues, admettons, qui va devenir cheffe de pièce, il va lui proposer un modèle. Alors, après la discussion est ouverte. On ne force jamais quelqu'un. Non, ce n’est pas possible parce que nous sommes dans un domaine de création. Ça peut devenir une souffrance si la personne se sent mal parce que nous sommes sur des temporalités qui sont complètement différentes des temporalités actuelles. Nous sommes dans une société où on a envie que tout aille vite et toujours plus vite. On est dans des temporalités ici complètement aux antipodes. C'est-à-dire qu’une tapisserie, cela prend entre trois et cinq ans. Si quelqu'un est en souffrance pendant trois ans, entre trois et cinq ans, ce n’est pas possible. La discussion sur le modèle reste ouverte : on propose aux gens et après les équipes se forment comme cela. »
Julia Blain apprécie la diversité des projets. Pour donner vie à des œuvres sur mesure. La collaboration avec les artistes et designers, souvent en amont, est toujours enrichissante.
« Pendant très longtemps, on a acheté des cartons et après on passait à la réalisation. L'artiste ou le designer venait et il y avait un échange qui était fait sur le carton. Mais les cartons ne correspondaient pas forcément tout le temps à un passage en textile. Donc, il y avait aussi une difficulté pour nous de passer de certains cartons au textile. Maintenant, ce qui se passe de plus en plus, c'est qu'on va chercher des artistes en particulier. L’Administration fait appel à eux et leur dit qu'ils veulent, si ça les intéresse, un tissage d'eux. Et donc du coup après l'artiste raisonne, il vient visiter les ateliers et fait son modèle en fonction de la technique et tout ça. Après au long terme, sur une tapisserie. Les relations avec les artistes peuvent être très variées et très différentes. Il y a des artistes qui vont être très impliqués, qui vont venir, qui vont peut-être même un peu trop s'imposer. Et du coup, pour nous, c'est aussi difficile à gérer parce qu'ils ne se rendent pas forcément compte de toutes les ficelles qu'il y a derrière et tout ce qu'on doit gérer. Il y a des artistes qui vont être très présents mais très bienveillants et qui vont dire d’accord, c'est pas ma partie là, je sais pas faire, donc faites, je vous fais confiance et alors là, c'est le meilleur des cas. Et il y a des artistes qu'on ne voit jamais, ça existe aussi. Mais dans tous les cas, il y a quand même une fin heureuse. Nous faisons des tapisseries. »
La recherche de couleurs, de textures et l'interprétation personnelle font partie intégrante du travail de Julia Blain. La réalisation de pièces en relief ou combinant plusieurs techniques est pour elle un défi stimulant.
« C'était une tapisserie en relief. C'est quelque chose qui ne se fait pas beaucoup ici. C'est la première fois, je pense qu'on le faisait et c'était un peu le défi à relever. On a fait l'ensemble du tissage, on a déroulé la tapisserie et on est venu réincorporer des chaînes sur le devant de la tapisserie et on a tissé des volumes par-dessus. C'était un peu le défi de savoir :’Est-ce que ça va bien rendre. Est-ce que ça ne va pas déformer le tissu. Est-ce que ça va apporter quelque chose aussi ? Parce que ça aurait pu totalement devenir anecdotique. C'était un défi que j'ai réalisé avec ma cheffe de pièce et c'était vraiment très exaltant. »
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