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Avignon Off 2025: retour sur la «questio...

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L’un des grands moments du Festival d’Avignon 2025 fut sans doute la représentation de la pièce Françé, du 5 au 26 juillet. Un drame aigre-doux sur le devenir de l’identité française dans un monde postcolonial et cosmopolite. Sur la scène du Théâtre des Halles, à Avignon, deux comédiens, bourrés de talents : Lamine Diagne et Raymond Dikoumé. Leur jeu sensible, tout en sobriété et trouvailles, doublé d’une mise en scène intelligente et originale, n’est pas étrangers au franc succès que la pièce a remporté auprès d’un public de festivaliers de plus en plus nombreux.

RFI: Bonjour, Lamine Diagne et Raymond Dikoumé. Le dossier de presse qui présente votre pièce ainsi que vos parcours respectifs de comédien, s’ouvre sur la phrase suivante : « Lorsqu’ils se sont rencontrés à Marseille, ils se sont reconnus. » Pourtant, vos parcours sont très différents ?

Raymond Dikoumé: Oui, c'est vrai qu'il s’est passé quelque chose. Déjà, nous nous sommes connus dans une certaine marge, qui est le monde du théâtre. Nous sommes tous les deux comédiens, acteurs, mais avec d'autres talents aussi, que ce soit la musique, et même la création. Tous les deux, on a écrit aussi nos propres spectacles, on a produit nos récits et je pense que c'est là où on s'est reconnu parce qu'on a des façons de fonctionner qui sont similaires.

C’est ce qui vous a conduits à écrire ensemble Françé. Mais ce n’est pas le premier texte que vous avez écrit ?

Lamine Diagne : Non, ce n’est pas le premier. Je dirais que c'est le troisième plutôt pour moi, mais qu'il est le fruit de ces autres spectacles où la question de l'identité était présente. La question coloniale était plus sous-jacente. J'ai écrit un spectacle qui s'appelle Le livre muet et qui retrace un petit peu, non pas seulement ma vie, mais aussi les parcours des parents, des ancêtres. Et dans les recherches que j'ai menées pour ce spectacle sur ma propre ascendance, j’ai découvert notamment les histoires des tirailleurs sénégalais. La question a commencé à pointer le bout de son nez lorsque je me suis intéressé à ma propre histoire. Cela a allumé un sujet qui a commencé à déborder, au point que j'aille chercher Raymond pour qu'on le traite vraiment à bras-le-corps.

Votre spectacle a connu un beau succès à Avignon. La critique l’a qualifié de « proposition poignante et nécessaire » ? Un qualificatif dans lequel vous vous reconnaissez ?

Lamine Diagne : Moi, je le comprends assez bien dans la mesure où on est quand même dans une société du fantasme, où on fantasme l'autre à partir de ses origines, de son apparence, de sa catégorie sociale, de l'endroit où il vit sans le connaître vraiment. Donc c'est absolument nécessaire qu'on arrête de se voir par le prisme du prêt-à-penser en quelque sorte, c'est-à-dire des perches qu'on nous tend les uns aux autres pour nous taper sur la tête. Cette parole est nécessaire et elle peut passer par l’art, par la discussion, l'échange, l'ouverture, énormément de choses.

Et vous Raymond, « poignant et nécessaire », c’est comme ça que vous avec vécu ce moment, vous aussi ?

Raymond Dikoumé : Oui, en effet, notamment par rapport à toutes les questions décoloniales qui arrivent sur le devant de la scène depuis ces dernières années. Il y a aussi cette particularité-là ici d'avoir une diaspora africaine très diverse, composée de personnes qui sont nées ici, qui ont des origines africaines, d'autres qui sont antillaises, mais toutes viennent d'Afrique. C'est ce qui se passe aussi dans notre spectacle. On essaie de toucher à notre héritage, un héritage que partagent beaucoup de personnes qui ont la peau noire.

Le thème de la quête identitaire qui est au cœur de votre pièce est surtout symbolisé par la scénographie qui est particulièrement originale. La pièce se déroule dans une cave, au milieu des cartons. Pourquoi avoir situé l’action de la pièce dans cette espace marginale qu’est la cave ?

Lamine Diagne : Une cave, c'est un lieu dans lequel on range des choses qu'on n'a plus envie de voir ou qu'on a peut-être envie de cacher. Le choix de la cave suggère que dans la pièce seront abordées des questions qui n'ont pas été assez traitées, notamment la question coloniale française. L’idée, c'était de retourner à la source des récits qui ont fait que l’on se retrouve aujourd'hui en France à s’interroger sur ce que nous sommes et de rappeler qu’on n’est pas là par hasard. Il y a vraiment des histoires que nous partageons. Et ces histoires, selon moi, elles ont été racontées de travers, jusqu'à il n'y a pas si longtemps. On commence tout juste à avoir accès à des récits qui viennent de l'autre côté de la mer, c'est-à-dire, qui ne sont plus européocentrés. Ce sont ces histoires qu’on a tenté d’aborder dans ce spectacle. Il s’agit de petites histoires, des histoires intimes, des récits familiaux de gens qui ont vraiment vécu soit sous la colonisation, soit pendant la décolonisation qui a vu se déferler une très grande violence dans certains pays. On l’a vu notamment au Cameroun, pays d’où vient la famille de Raymond.

Et, pour vous Raymond, que représente cette cave ?

Raymond Dikoumé : On pourrait analyser le choix de la cave à travers deux prismes. Il y a d’une part ce côté salles d'archives où s’accumulent des vérités sur des faits historiques qu’on refuse de regarder en face. Sur les cartons, sont projetées des images d'archives. D’autre part, la descente dans la cave peut être aussi vue comme la métaphore pour notre travail d’écriture. On a quand même plongé pas mal à l'intérieur de nous, à l'intérieur de nos histoires familiales. C'est un processus qui était assez salvateur et même puissant parce que, avec Lamine, pour écrire ce spectacle, on s'est beaucoup raconté l'un l'autre. On s'est confronté même à ce qu'on pensait et à nos impensés d'une certaine façon. On est parti déterrer ce qui était caché à la fois dans la société et en nous, choses qu'on a longtemps tenté d’étouffer, à l’intérieur de nous-mêmes.

Pour les auditeurs de RFI, qui n’ont pas vu le spectacle, racontez-nous le début la pièce et comment les protagonistes se retrouvent à la cave ?

Lamine Diagne : Il faut imaginer un immeuble moderne, quelque part en France, à Paris ou à Marseille. Moi, Lamine, trentenaire, de père sénégalais et de mère française, je joue le rôle d’un romancier en panne d’inspiration. Je viens d’emménager il y a quelques mois dans cet immeuble. J’y ai fait la connaissance de Raymond, français comme moi, né de parents camerounais, qui habite au 5ᵉ étage. Il est comédien. Je l’ai aidé à répéter son texte pour une audition. Nous nous retrouvons dans ma chambre pour un verre. On descend à la cave de l’immeuble pour y dégotter une bonne bouteille de vin à partager. Ensemble, nous pénétrons dans la cave où sont entreposés des cartons poussiéreux. Au fil des découvertes qui vont d’un casque colonial à un crâne, en passant par de vieilles correspondances, les deux comédiens se racontent leur parcour, leurs secrets de famille. Pour les protagonistes, afro-descendants, ce secret de famille concerne la colonisation et l’Afrique. Ce sont les pièces manquantes de l’histoire contemporaine de leur pays, soigneusement cachées dans des recoins de la mémoire collective, qui est symbolisée par la cave. Cette cave incarne aussi l’inconscient collectif : c’est l’endroit où on refoule des choses et à un moment, les choses que l’on refoule, finissent par ressortir, car ça commence à sentir mauvais. La pièce raconte ce moment explosif, quand la colère gronde et quand ceux qui ont été écartés de l’Histoire viennent frapper à la porte.

À la fin de chaque représentation, vous prenez le temps de venir discuter avec le public. Ces rencontres ont-elles permis de faire évoluer votre réflexion sur la question de la place du passé colonial dans le devenir français ? 

Raymond Dikoumé : Les vraies rencontres qu'on a pu faire avec le public, ce n'était pas forcément pendant le festival d'Avignon où on était très peu disponible puisqu'on devait ranger le plateau et on ressortait assez succinctement pour venir dédicacer quelques ouvrages et échanger quelques mots. En revanche, pendant toute la tournée de création, nous avons participé effectivement à des café-débats, des échanges, des bords de plateau passionnants. C'était très intéressant de voir comment nos histoires entrent en résonance avec les propos du public, que ces derniers soient ou non afro-descendants. C’était réconfortant de se retrouver dans une espèce de constellation familiale où chacun aurait sa place, où on ne serait pas forcément en train de se jeter l'histoire au visage. J’ai l’impression que cette circulation d’empathie devient possible quand on commence à se raconter et se raconter à l'endroit de sa propre intimité. C'est comme ça quand on laisse à la porte nos partis pris politiques, nos ressentiments, nos amertumes, qu’on parvient à se comprendre. Je pense que notre humanité a besoin de plus de moments de partage pour aller outre les choses qui nous divisent.

Françé, pièce écrite et interprétée par Lamine Diagne et Raymond Dikoumé. Éditions Cris écrits/ Contre-voix. 2025

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