Après l'échec des négociations pour un traité mondial sur le plastique, vendredi 15 août, à Genève, gros plan sur les stratégies employées par les producteurs de pétrole et de gaz pour retarder la sortie des énergies fossiles.
Le pétrole et le gaz sont vitaux pour leurs économies, et ce n’est pas pour rien qu’on parle de rente pétrolière que les pays producteurs d’hydrocarbure défendent à tout crin. En témoigne l’échec des négociations pour un traité sur le plastique, fabriqué avec du pétrole. Les pays pétroliers ont beaucoup investi dans l'industrie pétrochimique, et vendredi matin, à Genève, après l’échec des négociations de Genève, ils étaient directement accusés d’avoir fait capoter l’adoption d’un traité international contraignant. « Je suis déçue et en colère, parce qu’une poignée de pays ont bloqué cette négociation : les producteurs d’énergies fossiles, pour l’essentiel, les pays du Moyen-Orient, la Russie, et fait nouveau, les États-Unis, qui n’ont vraiment pas été aidant dans cette négociation », lâchait vendredi à Genève la ministre française de la Transition écologique Agnès Pannier Runacher, de moins en moins diplomate.
Ce n'est d’ailleurs pas seulement sur le plastique que les pays pétroliers font obstacle à la transition écologique et énergétique. C’est même historique, depuis 30 ans et le début des COP, les conférences mondiales sur le climat. Avec un pays à l'avant-garde de la vieille garde : l'Arabie saoudite. « Elle a toujours été un pays qui avait des experts, si on peut dire, des gens qui suivaient les dossiers, et toujours une force obstructrice qui faisait retarder les choses, qui faisait durer les réunions, qui s’opposait à l’avancée du processus, etc. », raconte Amy Dahan, directrice de recherche émérite au CNRS, auteure avec Stephan Aykut de Gouverner le climat ? (Presses de Sciences Po).
L’Arabie saoudite a ensuite fédéré autour d’elle les autres pétromonarchies du Golfe, à mesure qu’elles prenaient de la puissance, ainsi que la Russie, longtemps discrète dans les négociations climatiques. Puis vient le tournant de la Cop 25 de Glasgow en Écosse, en 2021, juste après le Covid. On imagine « le monde d’après », et l’Union européenne, « bien sûr, mais aussi la Chine, donnent des dates de sortie des énergies fossiles. C’est un moment de bascule, parce que là ça commençait à devenir un peu plus proche. Ce n’était pas pour demain, mais quand même. Les pays pétroliers ont donc décidé d’entrer dans le processus et d’avoir des stratégies, alors qu’avant ils se contentaient juste de faire de l’obstruction », analyse Amy Dahan.
Des stratégies qui prennent diverses formes : pressions économiques et politiques sur des pays pour s'en faire des alliés, présence massive de lobbyistes, promotion des technologies de captation de CO2 (pour pouvoir continuer à en émettre). Les pays pétroliers décident aussi d’accueillir les COP, les sommets sur le climat. L’Égypte, sous la tutelle de l’Arabie saoudite, en 2022, Dubaï en 2023, et l’Azerbaïdjan l’an dernier. À Dubaï, le président de la COP28 n'est autre que le patron de la compagnie pétrolière des Émirats. Il obtient la promesse de 100 milliards de dollars pour les pays du Sud, mais pour l’historienne des négociations climatiques Amy Dahan, on donne ainsi l’illusion d’agir : « C’est une façon pour eux de se présenter comme des forces qui ont voulu faire avancer le processus, très démagogique ! Ces discussions sur la finance prennent un temps fou, elles occupent tout le temps, plutôt que de se pencher sur la manière de sortir des énergies fossiles ». Oui l’argent c’est bien, c’est nécessaire, mais ce n’est qu’un pansement sur une plaie provoquée essentiellement par le pétrole.
La COP28 de Dubaï a d'ailleurs été particulièrement révélatrice du double jeu des pays pétroliers. Des heures et des heures de négociations pour changer un mot de la déclaration finale, remplacer « sortie » des énergies fossiles par le mot « transition »... et pendant ce temps, dans les couloirs de la COP, on signait à tour de bras des contrats pétroliers.
La stratégie des pays pétroliers à l’égard des énergies renouvelables procède du même esprit, pour jouer la montre. « Ils investissent dans les énergies renouvelables, ce qui leur permet de garder toutes leurs ressources fossiles pour les exporter et de baisser ainsi leurs propres émissions, explique Amy Dahan. Ils comprennent bien que la question du pétrole est inéluctable – il va falloir un jour sortir du pétrole. Mais l’idée est de gagner 30 ou 40 ans où ils vont pouvoir exploiter leurs ressources au maximum. »