Avec un premier roman devenu un best-seller international, la romancière nigériane Oyinkan Braithwaite est une figure montante des lettres nigérianes modernes. L’Une ou l’Autre, son second roman qui vient de paraître en français, est une réécriture grinçante mais réactualisée du jugement de Salomon. Antique et moderne.
Oyinkan Braithwaite s’est fait connaître il y a deux ans en publiant son premier roman Ma sœur, serial killeuse. Original, empreint d’un humour féroce et provocateur à souhait, ce roman féministe racontait l’histoire de deux sœurs dont la cadette finit toujours par tuer ses amants et la plus grande l’aide à se débarrasser des cadavres.
Traduit en une trentaine de langues, en cours d’adaptation au cinéma, Ma sœur, serial killeuse est devenu un best-seller international. Sa jeune auteure s’est imposée au cours de ces dernières années comme l’une des plumes les plus prometteuses de la génération montante d’écrivains nigérians de moins de 40 ans. Avec son style vif, son humour mordant et son écriture mettant en scène la vie dans les grandes villes nigérianes transformée par les réseaux sociaux, elle renouvelle la littérature nigériane contemporaine.
Née en 1988, Oyinkan Braithwaite ne se souvient pas comment elle est venue à l'écriture. « Je suis venue à l’écriture parce que j’aime lire », aime-t-elle à répéter. De son propre aveu, elle est une lectrice vorace, surtout de romans fantastiques. Elle voue un véritable culte à l’Américaine Robin Hobb et la Britannique Malorie Blackman dont les romans, à mi-chemin entre fantaisie médiévale et science-fiction, sont très prisés par des adolescents.
Oyinkan, elle, a découvert le monde du fantastique lors de ses années d’études en Angleterre où elle a étudié le droit et la création littéraire. Elle vit aujourd’hui à Lagos, au Nigeria, mais n'oublie jamais de rendre hommage à sa double culture anglo-nigériane : « Mes parents sont tous les deux nés en Angleterre, alors que moi je suis née au Nigeria. Après ma naissance, nous sommes revenus nous installer en Angleterre. Des allers et retours entre les deux pays ont ponctué ma vie. C’est en Angleterre que j’ai pris réellement goût à la littérature, à la lecture comme à l’écriture. Mais c’est au Nigeria que je me sens la plus créative car il y a dans ce pays un trop-plein de récits, de couleurs, de cultures. Ma dette est immense envers les deux pays car ils m’ont aidé tous les deux à trouver ma place en tant qu’écrivain. »
Second roman de Braithwaite, L’Une ou l’Autre, est une novella, soit une longue nouvelle. On lit ses 150 pages d’une seule traite.
« C’était une commande », explique Oyinkan Braithwaite. Commanditaire du roman de la Nigériane, The Reading Agency est une maison d’édition subventionnée par le gouvernement britannique, avec pour mission de vulgariser la lecture parmi des adultes qui ont perdu l’habitude de lire. À cette fin, l’éditeur public commande tous les ans de courts textes d’une centaine de pages à des auteurs à succès. L’Une ou l’Autre était l’un des six ouvrages commandités par The Reading Agency en 2021.
« J’avais des consignes d’écriture précises : faire court et simple, se souvient l’autrice. Je devais raconter dans un anglais facile une histoire originale qui tient le public en haleine. C’était un défi, car pendant longtemps, je n’avais pas la moindre idée de ce que je pouvais bien raconter pour attirer les lecteurs. Je ne saurais toujours pas vous dire comment on écrit un page-turner, mais je suppose que si vous êtes pris par le récit que vous racontez, ce qui était mon cas, c’est peut-être le signe que vous êtes sur la bonne voie. »
L’action de L’Une ou l’autre se déroule dans un Lagos en plein confinement. Le roman s’ouvre sur les heurs et malheurs d'un certain Bambi. Coureur de jupons invétéré, le jeune homme s’est fait virer en pleine nuit de chez sa copine. C’est le prix à payer pour ses mensonges et ses infidélités. En attendant la fin du confinement, Bambi se réfugie dans la vaste maison de famille où il est condamné à cohabiter avec la maîtresse d'un oncle défunt et sa veuve. Il y a aussi un bébé dans l’histoire dont les deux femmes revendiquent d’être la mère. Toutes les deux sont prêtes à s’entretuer pour s’emparer du bébé. Il incombera à Bambi d'arbitrer entre les demandes concurrentes des deux femmes et protéger l’enfant contre les assauts de ses deux mères potentielles.
Les lecteurs reconnaîtront derrière ce huis clos moderne, une trame narrative vieille comme le monde. En effet, L’Une ou l’autre, est une réécriture décalée du récit biblique du jugement de Salomon, comme le rappelle l’auteure elle-même.« Pour écrire L’Une ou l’autre, je me suis bien sûr inspirée du jugement de Salomon. L’idée d’inventer une version moderne de cette histoire me taraudait depuis longtemps, mais je ne savais pas par quel bout la prendre. Cette histoire me fascine parce que derrière le thème du jugement, il y est question de relations entre femmes, un sujet qui est cher à mon cœur. Je m’intéresse aux liens que les femmes entretiennent entre elles, leurs souffrances, leurs psychologies. Ce sont ces sujets que j’ai essayé d’explorer dans L’Une ou l’Autre qui est certes très différente de l’intrigue biblique. Dans mon roman, personne ne demande de partager son bébé en deux à coup d’épée, mais le livre joue avec le thème de la maternité. »
Réécriture grinçante et moderniste d'un récit antique, ce nouveau roman de la jeune romancière nigériane offre un moment de lecture réjouissant. Son style vif et entraînant nous changent des romans sérieux, souvent académiques, auxquels la littérature africaine nous a habitués. Il y a une demande aujourd’hui pour une littérature de divertissement, « qui ne prend pas la tête », confie la talentueuse Oyinkan Braithwaite.
L’Une ou l’Autre, par Oyinkan Braithwaite. Traduit de l’anglais par Christine Barbaste. Éditions La Croisée, 152 pages, 17 euros.