Le drone est-il en train de remplacer l'hélicoptère, voire l'avion, dans un certain nombre de pays, notamment en Afrique ? Cette année, le drone est l'une des superstars du Salon aéronautique du Bourget, qui vient de s'ouvrir près de Paris. Parmi les visiteurs assidus de ce Salon, il y a l'ancien officier français Peer de Jong, qui a créé Themiis, une société de conseil pour la paix et la sécurité, qui opère principalement en Afrique. Quels sont les atouts du drone en Afrique ? En ligne du Bourget, Peer de Jong répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
Quelles sont en Afrique les batailles où les drones ont joué un rôle décisif ces dix dernières années ?
Je connais deux batailles où les drones ont joué un rôle vraiment décisif. La première, c'est au Mali, puisque les Forces armées maliennes (Fama) avec Wagner utilisent systématiquement depuis en fait deux ans dans toutes leurs opérations des drones pour la reconnaissance. Mais également pour le tir, puisqu'elles ont des Bayraktar de Turquie. Ces Bayraktar sont armés. Donc aujourd'hui, il y a un usage systématique au Mali, en tout cas de drones.
La deuxième grande bataille, c'est en Libye. En Libye, en 2020, au moment où le maréchal Haftar déclenche une offensive en direction de Tripoli à partir de Tobrouk, il a été très concrètement arrêté par les forces de Tripoli qui étaient, elles, équipées avec une société militaire privée (SMP) bien connue qui s'appelle Sadat. Elles étaient équipées avec des Bayraktar. Et le Bayraktar a été décisif dans le blocage des forces de Haftar en direction de Tripoli.
Donc, on est vraiment au début d'une histoire et aujourd'hui les vendeurs de matériel circulent dans toute l'Afrique et font des propositions. Les acteurs principaux dans ce domaine-là, très concrètement, ce sont les Turcs. Aujourd'hui, les Turcs se servent du drone comme une espèce de produit d'appel pour en fait développer une forme d'influence sur l'ensemble des pays africains. Et moi actuellement, je les rencontre partout et ils le font avec une structure qui s'appelle Sadat. C’est un petit peu le Wagner bis, le Wagner turc. Et c'est cette structure qui fait théoriquement la formation et qui fait la préparation des unités opérationnelles sur le Bayraktar.
Un drone armé de type Bayraktar de fabrication turque, ça coûte combien environ ?
Alors ce n'est pas très cher, on est largement en dessous des 5 millions d'euros. Et en fait, après, le problème, c'est le missile qu'on met dessus, parce que ce sont les missiles qui coûtent cher principalement.
Et comparativement, un hélicoptère, ça coûte combien ?
Je ne sais pas, ça dépend des modèles, bien évidemment, mais on est sur des modèles à 20 ou 30 millions. Sachant que l'hélicoptère est un engin relativement fragile. Donc le drone aujourd'hui trouve toute sa place dans les opérations de reconnaissance et éventuellement dans les opérations de combat pour les pays qui sont, je dirais, en tension.
Est-ce que le drone n'est pas en train de remplacer l'avion ou l'hélicoptère dans certains pays africains ?
Oui, mais l'emploi n'est pas le même parce qu'en fait l'hélicoptère fait de la logistique principalement. Il y a très peu d'hélicoptères armés à part les Mi-24. Je vois un exemple au Mali, il y a les deux. Il y a des hélicoptères armés, il y a des drones. Aujourd'hui, les Maliens préfèrent travailler avec des drones, c'est beaucoup plus simple. On met la mission à l'intérieur du drone et le drone, quoi qu'il en soit, il y va.
Donc, on voit que l'emploi du drone est tellement simple, tellement facile et en fait tellement économique. Quelque part, il n'y a pas de comparaison. Encore une fois, l'hélicoptère devient un engin qui devient, je ne dis pas obsolète parce que le mot est un petit peu fort, parce que, dans les missions logistiques, les missions de commandement, on peut utiliser évidemment l'hélicoptère, mais l'hélicoptère perd beaucoup de son intérêt. On s'en sert comme un engin de transport, mais pas comme un engin de combat.
À lire aussiLa défense et l'espace, seules éclaircies attendues au salon de l'aéronautique du Bourget
En décembre 2023, au Nigeria, un drone a tué 85 civils qui participaient à une fête religieuse. C'était à Toudoum Biri, dans l'État de Kaduna. L’armée nigériane a présenté ses excuses, mais est-ce que le pilotage à distance n'augmente pas le nombre de bavures ?
Théoriquement non, parce qu'il y a une qualité d'image qui est reportée à l'arrière, qui est excellente. Après, tout dépend du commandement, parce que l'image arrive derrière, dans une espèce de petit état-major, un petit PC pour faire court, avec un écran ou deux écrans. Donc il y a des vérifications, des contrôles et l'ordre de tir n'est pas donné par le tireur, il est donné par le chef du système. Alors après, tout dépend comment c'est organisé.
Peer de Jong, vous êtes au salon du Bourget. Est-ce que les fabricants de drones sont présents, je pense notamment aux industriels turcs et chinois ?
Alors, il n’y a globalement pas que ça, mais on va dire que c'est le grand marché qui s'ouvre. Parce qu'il y a des Luxembourgeois, il y a des Belges, il y a des Espagnols, il y a évidemment des Chinois. En fait, l'ensemble de la planète aujourd'hui fabrique des drones. Donc, on est sur un marché en pleine explosion. Donc encore une fois, c'est un marché phénoménal dans lequel les États africains sont partie prenante bien évidemment, puisqu'en fait, ils peuvent acquérir des engins à des prix parfaitement acceptables. D'autant qu’aujourd’hui, on fabrique les drones en grande quantité, donc les prix baissent et donc, évidemment, ils sont accessibles pour tous les budgets militaires africains.
Et le premier prix est à combien, si j'ose dire ?
Pour 10 000 euros, vous avez un drone parfaitement efficace. Aujourd'hui, l'Union européenne finance des programmes de drones pour la surveillance des frontières ou pour la surveillance des pêches, ou éventuellement pour les questions de surveillance écologique, pour voir les bateaux, les dégazages, etc. Donc, encore une fois, le drone a des missions extrêmement variées. Alors c'est vrai que la mission la plus haute, c'est la mission de combat avec des missiles, mais on voit bien que la plupart des missions des drones sont des missions de reconnaissance ou des missions pour aller observer ce qui se passe.
Y a-t-il en Afrique aujourd'hui des États qui cherchent à fabriquer eux-mêmes des drones ?
Alors quand les vendeurs de drones viennent dans les pays, les États africains leur disent : « Écoutez, nous, on est prêts à, comment dire, à vous acheter des drones, mais par contre on veut les fabriquer sous licence. » Donc, il y a un marché régional qui va se mettre en place. Moi, je connais deux pays qui aujourd'hui sont plutôt partie prenante et sont plutôt dynamiques dans ce domaine-là, c'est le Maroc et l'Afrique du Sud.
À lire aussiFrance: les tensions géopolitiques au Moyen-Orient perturbent le salon de l'aéronautique du Bourget