Vendredi 23 février, Wathi a organisé une table ronde à Dakar sur les chantiers prioritaires pour le Sénégal au cours des cinq prochaines années, selon les enseignants-chercheurs de différentes universités publiques du Sénégal. Et ce, dans le contexte de l’élection présidentielle dont on ne connaît toujours pas la date. Pourquoi est-ce important d’entendre les universitaires en particulier ?
D’abord parce que tous les citoyens sont légitimes pour participer à la réflexion sur tous les sujets d’intérêt national. Ensuite, parce que les enseignants, les chercheurs font partie de cette catégorie très petite de la population qui a la responsabilité de former les futurs décideurs politiques, économiques, scientifiques, culturels d’un pays et aussi celle de produire des savoirs qui devraient orienter les décisions majeures dans tous les domaines.
Par rapport à d’autres régions du monde, les universitaires africains ne prennent pas suffisamment de place dans l’animation du débat public et ne semblent pas toujours convaincus de la nécessité de partager largement le résultat de leurs travaux de recherche, de partager leurs opinions qui sont a priori un peu plus informées et éclairées que d’autres parce que la production de savoirs est au cœur de leur activité professionnelle. Ceci dit, dans le cas du Sénégal, on a quand même vu un engagement remarquable des universitaires qui ont pris des positions claires dans le contexte des tensions politiques au cours des deux dernières années et encore davantage au cours des dernières semaines.
Vous publiez progressivement les entretiens avec 20 chercheurs qui abordent un très grand nombre de thèmes, mais dans le contexte politique actuel toujours marqué par l’attente de l’élection présidentielle, la question des réformes institutionnelles et de la gouvernance politique est inévitable…
Il faut dire d’abord que nous avons commencé à réaliser ces entretiens depuis quelques mois dans le cadre d’un projet soutenu par le Fonds canadien pour les initiatives locales. Nous souhaitions d’une part injecter des idées dans la période pré-électorale, d’autre part, rappeler à tous le rôle crucial des chercheurs, des enseignants, des universités, dans l’émergence des changements politiques, économiques, sociaux, technologiques, sociétaux nécessaires au Sénégal et dans tous les pays de la région.
Alors même que ces entretiens ont été réalisés en grande partie avant l’annonce du non-respect de la date du 25 février pour l’élection présidentielle, le sujet de l’hyper-présidentialisme était déjà très présent. Pour Lamine Sarr, enseignant-chercheur en science politique à l’Université numérique Cheikh Hamidou Kane, « La première priorité au niveau politique, c'est de restaurer le dialogue et la confiance des Sénégalais dans les institutions ». « Quand un peuple n'a plus confiance en ses institutions, dit-il, c'est le socle même de la démocratie, de la stabilité qui est menacée ». Il constate que « Le président de la République au Sénégal est au cœur de tout… On ne peut plus continuer comme cela ».
Zainab Kane, docteure en droit, enseignante – chercheure en droit public à l’Université Alioune Diop de Bambey, militante des droits des femmes et membre de l’Association des Juristes Sénégalaises, estime, elle aussi, que les réformes institutionnelles sont indispensables : « Il faut renforcer les institutions pour les rendre plus démocratiques, qu’elles soient au service des populations pour lesquelles elles ont été créées. »
Elle observe qu’on a beaucoup parlé de « judiciarisation de la politique et de politisation de la justice » ces dernières années. Il est essentiel de reconstruire ou de construire la confiance dans ce pilier de l’État de droit qu’est l’institution judiciaire. Lors de la table ronde, elle a aussi mis en lumière l’ampleur du décalage entre ce qui est attendu d’un parlement censé représenter les intérêts des citoyens et ce qu’il apporte dans la réalité.
Vous avez aussi abordé des autres réformes prioritaires, l’éducation, l’environnement, le cadre de vie, mais aussi l’énergie…
Oui, et bien d’autres thèmes, comme la santé de manière générale et la santé mentale en particulier, ont été mis en avant par les universitaires qui sont aussi des citoyens engagés. Il est absolument indispensable de notre point de vue de nous extraire quelque peu de l’actualité politique et des controverses actuelles pour mettre en débat les questions déterminantes pour les cinq, dix, voire les vingt prochaines années. C’est une manière de rappeler aux citoyens électeurs qu’il y aura bien à un moment donné, dans quelques semaines, il faut l’espérer, un choix à faire entre ceux qui postulent à la fonction présidentielle, qu’il faudra écouter leurs propositions dans tous les domaines prioritaires et évaluer, même sommairement, leur crédibilité. Écouter ces entretiens avec les universitaires permettra peut-être aussi aux journalistes de poser les bonnes questions aux candidats.