En France, l’instabilité politique perdure. Ce vendredi 10 octobre, Emmanuel Macron doit tenter de trouver une issue à la crise gouvernementale. Ces derniers jours, des appels, au départ du président de la République ont été lancés par une partie de la classe politique. Dans un contexte international tendu avec la Russie, une vidéo affirmant, à tort, qu'Emmanuel Macron a entrepris la construction d’un coûteux bunker de luxe, a totalisé des millions de vues en moins de huit jours.
De nombreux utilisateurs des réseaux sociaux, ont émis des doutes dans leurs commentaires dès l’apparition de cette infox. Mais depuis le 1ᵉʳ octobre, sa circulation n'a fait qu'augmenter sur les réseaux sociaux. Il s’agit d’une vidéo de 2 minutes 20 secondes, intitulée : « Macron construit un bunker de 148 millions d’euros au cas d’une 3ᵉ guerre mondiale ». On note déjà une formulation incorrecte, on dirait plutôt : « en cas de guerre » ou « si la 3ᵉ guerre mondiale éclate ».
Une voix off, en français, avec un fort accent étranger, détaille, en images, le prétendu projet de bunker présidentiel et dénonce un financement occulte impliquant un proche du président. La vidéo se termine par une courte interview « face caméra » d’un pseudo-ingénieur qui donne quelques détails techniques sur la future construction.
Afin de renforcer la crédibilité de cette vidéo, une source est citée. Ces révélations proviendraient d'une enquête publiée par un obscur site d’information se faisant appeler « Brutinfo.fr » Après vérifications, c'est un site « bidon » créé de toutes pièces, fin septembre. Ce site enregistré chez un hébergeur lituanien n’est plus accessible. Il a été conçu uniquement dans le cadre de la diffusion de cette infox, et son existence a été réduite à quelques jours. Il était destiné à tromper les utilisateurs en se faisant passer pour le média-vidéo « Brut », considéré comme sérieux, et rassemblant une audience significative en France, particulièrement auprès des jeunes.
Le site trompeur mélange des infos authentiques et des infox, et publie une galerie de portraits de journalistes connus présentés comme étant les auteurs de l’ensemble des articles. Parmi eux, Benoît Viktine, journaliste au quotidien Le Monde. Il a confirmé à nos confrères de la radio France Info qu’il n’est pas l’auteur de cet article. Son identité a donc été usurpée. Non sans ironie, Benoit Viktine, est l’auteur d’un article authentique, qui parle d’un président retranché dans son bunker, mais il s’agit de celui de Vladimir Poutine, et cela remonte à 2020 durant la crise du Covid-19 ! Ce qui ne fait qu'ajouter à l'ambiguïté. Nous avons retrouvé cet article ici.
De sérieux doutes pèsent aussi sur l’identité de la personne qui apparait dans la vidéo : un personnage qui répondrait au nom de José Meier et qui travaillerait comme ingénieur, pour une société suisse spécialisée dans les constructions souterraines. Vérifications faites : l’entreprise Oppidum, - cité dans la vidéo -, n’existe plus : elle a été liquidée au printemps dernier.
Par ailleurs, le visage de l’ingénieur présente de très fortes similitudes, avec d’autres visages découverts dans le catalogue d’une banque d’image en ligne. Il s'agit de visages créés à l’aide d’un outil d’intelligence artificielle générative et utilisée le plus souvent à des fins commerciales.
Comme le fait remarquer le collectif Gnida-Project qui lutte contre la désinformation russe, ce même visage apparait dans une précédente vidéo offensante visant l’épouse du président Macron. Dans cette ancienne vidéo, l’avatar ou le comédien, avait pris l’apparence d’un médecin. À y regarder de près, les traits sont exactement les mêmes, mais la coupe de cheveux diffère. Le visage de l'homme présent dans l'infox sur le prétendu bunker, a été retrouvé dans un grand nombre de portraits, utilisés ou modifiés par le passé, comme le laisse apparaitre une recherche via un outil de reconnaissance faciale.
Une fois de plus cela rappelle en partie, le mode opératoire informationnel russe Storm-1516, aussi bien dans la production : en faisant appel à un « hypertrucage » puis en s’appuyant sur un site internet dédié, mais également dans la diffusion : avec toute une série de relais de la propagande russe ou de thèses anti-occidentales. Ces comptes sont chargés d’amplifier la propagation de l’infox. L'agence Viginum qui en France surveille les ingérences numériques étrangères, rappelle que « Le schéma de diffusion de Storm-1516 a évolué au fil du temps. Il se caractérise par la primo-diffusion de contenus par des comptes jetables maîtrisés par les opérateurs, ou via des comptes rémunérés, éventuellement appuyés par le blanchiment du narratif par l’intermédiaire de médias étrangers. Les faux récits sont ensuite amplifiés par un réseau d’acteurs prorusses ou selon d'autres modes opératoires ».