Cette histoire se déroule dans une banlieue ouest de Sydney, en 2016. Je vivais dans un petit appartement avec ma copine de l'époque.
Un soir, nous décidons d'aller prendre l'air après dîner. Nous descendons dans la rue, il fait nuit, l'air est doux. Au bout de quelques mètres, nous devons traverser la route. Je regarde à gauche, à droite, personne en vue, hop nous nous engageons sur la chaussée. Alors que nous sommes sur le point d'atteindre le trottoir opposé, un bolide surgit du bout de la rue à toute vitesse et nous dépasse sans ralentir. Nous avons tout juste le temps de sauter sur le trottoir pour échapper à une mort certaine.
Mon amie est abasourdie. Je fais de grands gestes avec les bras pour dire de ralentir. Dans son rétroviseur, le chauffard m'a vu. Les feux de freinage s'allument, la voiture s'arrête à une trentaine de mètres. La portière s'ouvre, et un homme trapu en sort, le visage fermé et menaçant. Nous échangeons quelques mots de circonstance. J'exprime mon mécontentement et il répond par l'insulte. Si j'avais été seul, j'aurais évité la confrontation. Mais les femmes ont ce pouvoir de faire faire aux hommes des choses insensées. Je dis à ma douce amie : pars, cours si tu peux, ça ne va pas être joli. En effet, je fais 70kg et le taureau à quelques mètres de moi doit en faire 120. Ses biceps sont si gros que ses bras pendent à 20cm de son corps. Je calcule rapidement mes chances. S'il me met la main dessus, je suis fini. Mais j'ai un plan. Pendant que ma compagne s'éloigne sur mon conseil et que le bestiau s'avance vers moi à pas lourds, je me mets face à lui, au milieu de la route. Je fais quelques pas dans sa direction, puis j'enlève mes savates, lentement. Je me baisse pour les ramasser, sans jamais lâcher mon adversaire du regard. Chaque muscle de mon corps est en alerte. Je suis prêt à courir. Je me glisse dans la peau de mon personnage, un fou furieux. Alors qu'il continue à s'avancer vers moi en me débitant ses vulgarités, je garde le silence, je le fixe le front baissé, je serre la mâchoire et je respire entre mes dents. De l'écume de salive se forme aux coins de ma bouche. J'ai une savate dans chaque main. Il s'arrête, il est assez proche pour entendre ma respiration. Ma posture de fauve prêt à bondir le met mal à l'aise. Dans le court silence qui suit, je lui lâche cette phrase que je n'ai jamais oubliée : je vais t'arracher les yeux des orbites. Je l'ai dite en anglais, car sur son crâne épais, le français n'aurait pas eu beaucoup d'effet. Là, le coup n'a pas manqué. Un éclair d'incompréhension a traversé son visage, et il m'a répondu : tu es complètement malade ! avant de faire demi-tour illico presto.
Je pousse un soupir de soulagement en voyant la voiture repartir. J'avais enlevé mes savates pour courir plus vite, car pieds nus je suis une vraie fusée. Il a dû se dire qu'un pauvre type qui pensait l'attaquer à coup de savates était suffisamment dérangé pour être potentiellement dangereux.
J'ai rejoint mon amie qui s'était cachée derrière un buisson et je lui ai raconté comment mon talent d'acteur m'avait sauvé la peau. Nous avons beaucoup ri mais n'avons jamais eu d'enfants puisque nous nous sommes séparés l'année suivante.