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Aug 11
6m 23s

Journalistes tués à Gaza: «On est face à...

Rfi
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Al Jazeera a annoncé que cinq de ses journalistes avaient été tués dimanche 10 août dans une frappe israélienne « ciblée » sur leur tente à Gaza. Parmi eux : Anas al-Sharif, un correspondant de 28 ans très connu des téléspectateurs et sur les réseaux sociaux. L'armée israélienne confirme l'avoir ciblé, et assure qu'il s'agissait d'un « terroriste » se faisant « passer pour un journaliste ». Dans un communiqué, Reporters sans frontières dénonce « avec force et colère cet assassinat revendiqué ». Entretien avec Thibaut Bruttin, directeur général de RSF.

RFI : Anas al-Sharif était menacé depuis plusieurs semaines déjà. Est-ce que des mesures avaient été prises pour tenter de le protéger ?

Thibaut Bruttin : Ce qui est clair, c'est que les collaborateurs d’Al Jazeera, depuis le début de ce conflit, font l'objet d'un ciblage répété, et l'équipe d'Al Jazeera et Anas al-Sharif lui-même se préparait à l'éventualité d'une telle frappe. Et c'est d'ailleurs pour cela qu'il avait écrit un courrier qui a été rendu public par Al Jazeera dans les heures qui ont suivi son décès.

Environ 200 journalistes ont été tués depuis le début de cette guerre. Est-ce que c'est une situation inédite, si l’on compare avec les conflits depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ?

C'est inédit dans la mesure où nous avons une seule force armée, les forces armées israéliennes, qui appartiennent à un régime démocratique qui, non seulement tue de façon indiscriminée des journalistes dans le cadre de frappes qui touchent des civils, mais aussi ciblent des journalistes et revendique ce ciblage en les accusant post-mortem d'être des terroristes. C'est le cas de Anas al-Sharif, qui a été dépeint comme quelqu'un qui prétendrait être journaliste, mais serait en réalité un terroriste. Il n'en est rien.

Ces journalistes travaillaient pour Al Jazeera pour la plupart. On sait qu'il y a un passif déjà entre cette chaîne qatarienne et le gouvernement israélien. Mais au-delà de cet aspect, est-ce qu'il est encore possible d'être journaliste palestinien et de travailler dans la bande de Gaza ?

C'est devenu un des métiers les plus dangereux du monde. Vous avez évidemment la menace perpétuelle des frappes armées israéliennes. Vous avez, par ailleurs, le besoin de vivre votre vie civile, de faire la queue pour la nourriture, pour l'eau, de prendre soin des vôtres. Et puis il y a le Hamas qui continue à empêcher une couverture réelle, complète de la vie à Gaza. Et par-dessus tout, les populations civiles qui témoignent, soit, et c'est tout à fait louable, d'un soutien aux journalistes, soit s'en éloignent, ne veulent plus leur parler parce qu'ils disent que s'ils leur parlent, un missile tombera et ils risquent de périr. Donc, c'est aujourd'hui un des métiers les plus dangereux du monde que d'être journaliste à Gaza.

Ça veut dire qu'il faut presque cacher ce métier quand on est encore sur place, comment est-ce qu'on peut faire pour continuer à faire son travail ?

Les journalistes gazaouis sont aujourd'hui un des honneurs du journalisme. Ils continuent malgré tout, malgré la pression, la violence, l'épuisement, à faire leur travail. C'est aux démocraties de faire leur travail. Comment est-il possible que, dix ans après la résolution 2222 du Conseil de sécurité des Nations unies sur la protection des journalistes en période de conflits armés, on en soit là ? Comment est-ce qu'on peut accepter qu'un gouvernement demande, ou en tout cas accepte que les forces armées qui sont sous son autorité, en arrivent à avoir des frappes ciblées et une diffamation post-mortem des journalistes ? Je crois que c'est là où il faut remettre le curseur, là où il doit être, c'est-à-dire que nous avons peut-être perdu collectivement une force, celle de la communauté internationale qui doit peser de son poids entier sur Israël.

On sent presque un sentiment d'impuissance. Qu'est-ce qu'on peut faire concrètement face à cela ?

Il est clair qu’aujourd'hui, il ne nous semble pas que l'indignation des États membres de l'Union européenne soit telle qu'on en revienne à mettre en cause, par exemple, l'accord commercial qui existe entre Israël et l'Union européenne. Je crois qu'il faut utiliser les leviers qui sont les nôtres face à un pays, Israël, qui est en train de renier l'intégralité des engagements internationaux que tout régime démocratique se doit d'avoir à l'égard des journalistes.

On parle essentiellement de correspondants palestiniens, parce que les médias internationaux, eux, ne sont pas autorisés à travailler librement dans la bande de Gaza. Est-ce que ça aussi, c'est quelque chose d'inédit ?

C'est inédit dans ce moment de l'histoire du journalisme. Aujourd'hui, il est tout à fait possible d'assurer la sécurité des journalistes dans les périodes de conflit armé, à la fois parce que les belligérants sont capables de garantir une grande partie de la sécurité des journalistes. On le voit par exemple lors du conflit en Ukraine, où, bien sûr, il y a des journalistes qui périssent. Mais quand on regarde leur nombre par rapport au nombre de journalistes sur place, ça montre à quel point il y a une précaution qui est prise. Et puis il y a une culture de la sécurité dans les rédactions qui fait que les journalistes ne sont pas des bleus. Ils sont capables d'avoir des équipements, d'avoir des réflexes, d'avoir des méthodes qui leur permettent d'échapper à la violence lors d'un conflit. De façon assez sournoise dimanche, Benyamin Netanyahu a évoqué cette ouverture potentielle de Gaza élargie aux journalistes internationaux. Je crois que c'est véritablement une nécessité pour assurer une relève de ces journalistes palestiniens qui sont aujourd'hui les yeux et les oreilles de la communauté internationale et du monde entier.

Est-ce qu'il y a un vrai risque aujourd'hui de ne plus pouvoir du tout rapporter ce qui se passe sur place dans la bande de Gaza ?

Absolument. Je crois que l'on regarde là, par exemple Al Jazeera, qui est une chaîne dont la couverture est non seulement très soutenue, mais aussi très suivie du conflit. Elle a perdu la quasi-totalité de ses collaborateurs. Donc, on est face à une sorte d'extinction potentielle du journalisme à Gaza.

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