Le Conseil constitutionnel se prononce aujourd'hui sur la loi votée il y a un mois qui supprime un certain nombre de normes environnementales au profit de l'agriculture. L'espoir des opposants à la réintroduction d'un pesticide repose sur le principe de précaution.
C'est un principe tout simple : dans le doute, abstiens-toi. « Le principe de précaution, c'est la précaution qu'on prend quand on a un risque qui n'est pas avéré mais qu'on a quand même un faisceau d'indices, précise Ginette Vastel, vice-présidente de France Nature Environnement. Ce n'est pas parce qu'on n'a pas tout démontré qu'il faut ne pas agir et attendre des années pour constater une catastrophe et se dire qu'on aurait peut-être dû agir avant ».
Le principe de précaution, un concept élaboré dans les années 70 en Allemagne, un pays alors à l'avant-garde pour les politiques environnementales, a pris une place de plus en plus importante dans le droit de l'environnement, et dans le droit international lorsqu'il a été officiellement reconnu au sommet de Rio, le Sommet de la Terre organisé en 1992 par les Nations unies. La même année, il est intégré dans le droit communautaire européen. Et trois ans plus tard, en France, dans la loi Barnier.
Sous l'impulsion de Jacques Chirac, le principe de précaution figure ensuite dans la Charte de l'environnement et intègre la Constitution par un vote du Congrès, les députés et sénateurs réunis à Versailles, en 2004. « L'adoption de la Charte est une étape décisive pour l'histoire des droits, déclame à la tribune le Premier ministre de l'époque Jean-Pierre Raffarin. Car le principe de précaution n'est pas une menace. C'est un principe d'action exceptionnel pour risques exceptionnels ». Dans les années 2000, on débat beaucoup des OGM, les organismes génétiquement modifiés – on s'interroge sur les risques qu'ils représentent pour la biodiversité et la santé humaine. Et c'est au nom du principe de précaution qu'on les interdira en France.
Et depuis, le principe de précaution est régulièrement critiqué, parce qu'il empêcherait l'innovation, le développement économique. Sauf que le principe de précaution, c'est du droit, et c'est de la science. « Le principe de précaution n'est pas seulement un principe philosophique, plaide Philippe Grandcolas, directeur de recherche au CNRS, et auteur d'une tribune signée par de nombreux scientifiques français contre la loi Duplomb. C'est un principe qui a été implémenté juridiquement. Je pense que malheureusement une partie de la société, certains élus, certains entrepreneurs, etc. ne comprennent pas finalement son utilité. Cela s'apparente à du déni de science ».
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La science, justement, n'a pas été très présente pendant les débats au parlement, en particulier autour de l'acétamipride que la loi Duplomb veut ré-autoriser. Un néonicotinoïde précisément interdit en France depuis 2018. « On l'a retiré certainement pour de bonnes raisons, je ne pense pas que quelqu'un s'est réveillé un matin en disant qu'il fallait retirer le produit !, sourit Ginette Vastel, de France Nature Environnement. Là on veut le remettre. Or pour ce produit il y a quand même un faisceau d'indices. Des études ont été faites et on a une grande inquiétude au niveau du développement cérébral ». Sans parler des risques de cancer.
Le Conseil constitutionnel va-t-il donc tenir compte du principe de précaution ? Il le peut, puisque le principe de précaution figure dans la Constitution. Dans le passé, il ne l'a jamais fait, mais c'est l'espoir de l'écologue Philippe Grandcolas : « La difficulté, c'est où on met le curseur entre les bénéfices et les risques. Donc je suis effectivement dans l'espoir qu'une instance aussi importante que le Conseil constitutionnel interprète le principe de précaution de manière très conservative, en accord avec la science ». Réponse ce soir à 18h.
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