Des rejets plastiques et industriels engendrent de nouvelles couches « géologiques ». Bienvenue dans l'anthropocène, où les activités humaines s'inscrivent durablement dans nos horizons.
C'est un néologisme, inventé il y a une dizaine d'années pour décrire un phénomène inédit et tellement révélateur des pollutions humaines qui s'incrustent partout, y compris où on s'y attend le moins : le plasticroûte, une croûte de plastique. On l'a notamment observé à Madère, l'archipel portugais de l'océan Atlantique, célèbre pour ses falaises et ses roches volcaniques, et désormais réputé pour sa plasticroûte ; des croûtes de plastique, littéralement, incrustées dans les rochers du littoral. De loin, on dirait du lichen, mais c'est bien du plastique.
Il s'agit de polyéthylène, un plastique particulièrement résistant, qui s'est retrouvé dans l'océan. Des bouts de plastiques projetés par les vagues sur les rochers, et qui, sous l'effet du soleil, des ultraviolets, ont formé par endroit une nouvelle couche « géologique ». Pas très épaisse, moins d'1 mm, mais sacrément résistante. Sacrément visible aussi, peut-être pour nous rappeler que le plastique ne disparait pas. Ce sera d'ailleurs tout l'enjeu des négociations qui reprennent ce mardi 5 août à Genève, dans l'espoir d'aboutir à un traité mondial pour limiter la production de plastiques.
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Au-delà de cette pollution plastique, très durable, d'autres activités humaines peuvent engendrer une modification des paysages. C'est le cas par exemple dans le nord-ouest de l'Angleterre, où des chercheurs ont identifié sur la côte une nouvelle roche, qui n'a rien de naturel, mais qui est le fruit de l'accumulation de déchets industriels issus de la sidérurgie en particulier. Des déchets rejetés sur le littoral, puis, au contact de l'air et de l'eau salé, une transformation chimique se produit qui cimente toutes ces scories, et qui produit une forme de roche.
Sauf que ce n'est pas de la roche : c'est bien le produit des activités humaines. Un phénomène d'autant plus spectaculaire que sa formation n'a pris que 35 ans, ce qui est évidément extrêmement rapide quand on sait que le cycle géologique naturel se mesure habituellement en millions d'années.
Il s'agit là d'un nouveau signe de l'anthropocène, l'ère des êtres humains, le dernier temps géologique que l'humanité est en train de vivre, même si cette notion ne fait pas totalement consensus dans la communauté scientifique, en particulier chez les géologues. On ne peut nier en revanche que les activités humaines, et en particulier nos déchets, bouleversent les paysages. À New Delhi, la célèbre décharge de Ghazipur est une montagne de plus 60 mètres de haut, visible à des kilomètres. Près de Paris, la colline d'Élancourt, où ont eu lieu les épreuves de VTT aux Jeux olympiques de l'an dernier, était une immense décharge, le point culminant de la région Ile-de-France.
L'anthropocène entraine même une nouvelle discipline : l'archéologie des déchets. Comme l'ont fait par exemple des biologistes aux Pays-Bas, en étudiant un nid de foulques à Amsterdam. Ces oiseaux de rivières construisent leur nid avec tout ce qu'ils trouvent, et en ville, c'est d'abord des déchets qu'ils trouvent. Les chercheurs néerlandais se sont rendu compte qu'ils n'étaient pas en présence d'un seul nid, mais d'un empilement de nids depuis une trentaine d'années. Sur les couches supérieures, beaucoup de masques chirurgicaux – les années Covid-19. Et puis tout au fond, un emballage d'un Mars, presque intact (l'emballage, pas la barre de chocolat), qui datait du début des années 1990 – on l'a deviné parce qu'il y avait dessus le logo du Mondial de foot 1994. Tous ces déchets sont aujourd'hui exposés dans un musée de la science, à La Haye, dans la collection justement consacrée à l'anthropocène.
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