Israël a annoncé ce dimanche des « pauses humanitaires quotidiennes » dans plusieurs zones de la bande de Gaza, ravagée par 21 mois de guerre et touchée de plein fouet par la famine. Après des semaines de pression internationale, des camions d'aide humanitaires ont pris la direction de l'enclave palestinienne ce matin, depuis l'Égypte. Précédemment, l'armée israélienne avait annoncé avoir également parachuté de l'aide, dans la nuit. Pour en parler avec nous, Amande Bazerolle, responsable des opérations d’urgence de MSF à Gaza.
RFI : Quelle est votre réaction face à ces annonces ?
Amande Bazerolle : Enfin, il se passe quelque chose. Même si, hélas, la situation qui est à déplorer sur place aurait pu être évitée puisqu'elle était complètement injustifiée. Elle est due au blocus israélien depuis le début du mois de mars à Gaza.
Au vu des nombreuses alertes de l'ONU et d'ONG sur la famine à Gaza, ces annonces suffisent-elles, selon vous ?
Non, cela ne suffit pas, car nous n'avons aucune garantie que cela va continuer dans le temps. Aujourd'hui, c'est une population qui est extrêmement amaigrie, avec des morts que l'on constate déjà. Une population qui est à bout de souffle. Le seul moyen de les prendre en charge, c'est de s'assurer qu'il y ait de la nourriture qui rentre en quantité suffisante pour la totalité de la population, puisque ce sont deux millions d'habitants qui sont dépendants de l'aide alimentaire. Et que ce soit fait de manière continue. On ne peut pas être dépendant de la volonté des Israéliens qui ne justifient aucunement le pourquoi du blocus.
Au niveau géographique, dans l'enclave palestinienne, il y a trois points principaux de foyers de population où une pause tactique a été annoncée par l'armée israélienne. D'abord Gaza-ville au nord, Deir al Balah au centre, Al Mawasi au sud. Trois grands points de rassemblement. Avez-vous une idée de combien de personnes vont pouvoir bénéficier de cette aide ?
Aujourd'hui, il ne reste que 15 % du territoire qui est accessible aux Palestiniens. Le reste est sous ordre d'évacuation de la part de l'armée israélienne. La grande majorité des 2,1 millions d'habitants de la bande de Gaza se concentrent dans ces trois poches qui ont été créées par les activités militaires des Israéliens. Via ces trois territoires, les autorités et les ONG vont pouvoir distribuer auprès de la population directement la nourriture, comme c'était le cas pendant la trêve.
On parle de zones assez larges, de centres urbains. Mais quid de la population en périphérie et éloignée de ces zones ? Va-t-elle pouvoir bénéficier aussi de cette aide ?
Nous mettrons tout en œuvre pour pouvoir distribuer à l'entièreté de la population. Cette pause va permettre de faire entrer non seulement l'aide, mais surtout, on l'espère, d'arrêter les bombardements quotidiens qui ont lieu, y compris dans ces zones qui ne sont pas sous ordre d'évacuation, afin d'y permettre la sécurité pour que les gens puissent se déplacer.
Il y avait 400 centres de distribution pendant la trêve. Nous espérons pouvoir réactiver la grande majorité de ces centres pour pouvoir distribuer à la population et, évidemment, pouvoir avoir accès aux plus démunis.
La façon dont cela s'organise, c'est via des listes. Aujourd'hui, nous savons à qui nous distribuons de la nourriture - quand je dis nous, je parle des ONG en charge de la distribution. Ce n'est plus organisé comme le faisait la Gaza Humanitarian Foundation (GHF), qui n'était pas du tout organisée et qui fonctionnait sur le principe du « premier arrivé, premier servi ». Cela va être organisé comme savent le faire les professionnels de l'humanitaire et de la distribution de nourriture.
Savez-vous ce que contiennent les camions humanitaires qui arrivent dans le territoire ? Et savez-vous également ce que ce qu'on a largué comme type d'aide dans les parachutages cette nuit ?
Je n'ai pas le détail exact. Ce que l'on sait, c'est que nous allons faire entrer de la farine, ce qui est l'un des aliments principaux pour les Gazaouis, mais aussi beaucoup de boîtes de conserve. Parce qu'on ne sait pas combien de temps va durer cette situation. Il faut pouvoir avoir de la nourriture qui va rester le plus longtemps possible. Mais aussi de la nourriture thérapeutique pour pouvoir s'occuper des 30 000 enfants aujourd'hui recensés – c'est sûrement beaucoup plus – qui ont besoin d'être dans un programme de nutrition.
Il faut de l'eau et du gaz de cuisine pour préparer parfois certaines denrées alimentaires. La population est-elle en mesure de profiter de l'intégralité de cette aide au vu des conditions de vie sur place ?
Cela va être compliqué. Effectivement, on ne sait pas si on va pouvoir faire entrer du gaz pour pouvoir cuisiner. Concernant l'eau, les Israéliens ont annoncé qu'ils allaient rétablir l'électricité sur l'une des principales centrales de dessalement. Ce qui prouve à nouveau que tout cela était possible, pouvoir distribuer de l'eau en quantité suffisante. Que c'était une volonté politique de ne pas le faire. MSF concourt à distribuer cette eau directement aux populations, l'amener aux populations et arrêter de faire se déplacer les populations. C'est à nous d'aller au-devant d'eux et pas l'inverse.
Quand on sort de famine, après des mois de dénutrition, y a-t-il des dangers ? Vous parliez de nourriture thérapeutique.
Certaines personnes, qui ont été complètement dénutries, qui sont en situation de malnutrition sévère, vont devoir être accompagnés dans la renutrition. Leur métabolisme n'est pas capable d'absorber la nourriture. Il va falloir le faire de manière très suivie, par du personnel médical et nous allons concourir à cela. Ce que nous espérons, c'est pouvoir atteindre ceux que nous n'atteignons pas à présent, dû à l'insécurité constante dans la bande de Gaza.
Combien de temps faudra-t-il pour réalimenter la population, alors qu'on ignore la durée de l'autorisation de l'aide humanitaire ?
Il n'est pas question de « combien de temps ». Il faut que ce soit de manière pérenne. La question ne se pose pas aujourd'hui. Les populations sont exténuées après une famine, 21 mois de guerre, de déplacements incessants, de conditions de vie absolument drastiques, de conditions d'hygiène encore pires. La seule solution, c'est que cela cesse et qu'on ait un vrai cessez-le-feu qui soit absolument permanent. Qu'on laisse les organisations dont c'est le métier travailler à Gaza et apporter assistance à deux millions de personnes qui sont dans le besoin.
On en parlait du déroulement de l'opération. Peut-on rentrer dans le détail ? Comment cela va s'opérer ? Est-ce vous, les ONG, le système onusien, qui allez-vous occuper de l'acheminement ? Avez-vous des informations plus précises sur le déroulement ?
Il y a des ONG et des agences onusiennes telles que le Programme alimentaire mondial qui ont déjà commencé à faire rentrer des camions. Tant qu'on n'assure pas à la population que cela sera une distribution qui va concerner l'entièreté de la population, il y aura toujours des problèmes de pillages, des gens qui auront peur d'être laissés pour compte. Et c'est ce qui s'est passé aujourd'hui. Il faut s'assurer, et on a réussi à faire pendant la trêve, qu'il y ait assez de nourriture qui rentre pour tout le monde pour ne pas créer de concurrence et de risques sécuritaires. Il faut s'assurer que non seulement cela rentre, mais que surtout, il n'y ait pas de tirs autour, comme on l'a constaté ces dernières semaines de la part des forces israéliennes.
La GHF est-elle écartée ?
Nous espérons que la GHF sera écartée puisqu'elle ne répondait aucunement aux besoins de la population, ni au droit humanitaire, en excluant complètement les plus démunis et les plus vulnérables. Les Nations unies et les autres organisations sont prêtes à faire rentrer de la nourriture qui attend depuis des mois pour entrer dans Gaza et subvenir aux besoins de la population.