C’est un chapitre peu exploré dans l’histoire du XXe siècle : la musique dans les camps nazis. À travers près de 300 objets et témoignages du monde entier – instruments, partitions, dessins et photographies -, le Mémorial de la Shoah à Paris dévoile les multiples fonctions et tonalités de cette musique au service de l'horreur ou de la résistance. Carmen Lunsmann.
Cette marche n'a jamais résonné en dehors des baraquements et des barbelés. Composée en 1943 par un détenu tchèque au camp de Buchenwald en Allemagne, elle a été enregistrée spécialement pour l'exposition La musique dans les camps nazis. La commissaire Élise Petit vise également à contrecarrer certaines idées reçues : « Il n’y a pas eu d’orchestres de déambulation pour accompagner des détenus à la chambre à gaz. Il y a pu avoir dans les centres de mise à mort des orchestres postés à l’arrivée des convois pour éviter des mouvements de panique. Mais en aucun cas, ils n’ont joué jusqu’à la chambre à gaz et encore moins à l’intérieur. Puisque la musique devait servir l’efficacité du régime. »
La musique a rythmé la vie dans les camps nazis, synchronisé les pas des travailleurs forcés, masqué les cris des prisonniers torturés. Mais sur quels instruments ? « Il pouvait y avoir soit l’autorisation du commandant d’écrire à sa famille pour se faire envoyer son instrument à partir de 1938 quand les orchestres un peu plus importants étaient constitués, poursuit la commissaire. Ça évitait aux Nazis d’acheter des instruments. Mais à Buchenwald, le commandant SS a fait équiper sa fanfare avec des instruments neufs qu’il a fait payer, bien sûr, par des détenus juifs du camp à l’époque. Et dans de très rares cas, certains instruments ont été fabriqués sur place avec du bois qui n’était pas du tout approprié, mais il semblerait que ces instruments sonnaient quand même. »
Une contrebasse imposante, fabriquée de toute pièce par des détenus de Mauthausen en Autriche, ouvre l'exposition. Avec des témoignages poignants de survivants et des photos souvenirs de commandants SS, on explore la frontière entre musique autorisée et musique clandestine qui est souvent mince et arbitraire, mais non moins vitale. « Dans certains camps, la musique a vraiment sauvé des musiciens, rappelle Élise Petit. À Birkenau, l’orchestre des femmes – dirigé par Alma Rosé –, qui était la nièce de Gustav Mahler, très admirée par les SS et qui a réussi à négocier que les femmes de l’orchestre soient dispensées de tout autre travail, qu’elles aient accès à un petit poêle pour se chauffer et qu’elles puissent prendre les douches plus régulièrement. Et dans les camps où les musiciens n’étaient pas dispensés de travail, ils étaient quand même souvent affectés à des commandos moins pénibles. »
Systématique et impitoyable, la musique réserve néanmoins des moments de consolation, de respiration, d'échappatoire aux détenus – que ce soit dans des latrines sordides ou lors de sorties exceptionnelles. Comme dans le cas de deux musiciens de jazz, Johnny et Jones, autorisés à quitter leur camp aux Pays-Bas pour enregistrer six chansons à Amsterdam qui, elles, ont survécu.
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