En 2016, 53% des femmes blanches avaient voté pour Donald Trump et contribué à sa victoire. Selon les sondages, ces mères de familles sont lassées des excès du locataire de la Maison Blanche et pencheraient cette année pour Joe Biden. Mais dans la banlieue de Raleigh en Caroline du Nord, rien n’est acquis. Reportage de notre envoyée spéciale permanente aux États-Unis, Anne Corpet.
L’humeur est plutôt souriante au quartier général du parti démocrate de Fuquay-Varina, à quelques jours des élections. Devant les bureaux de vote de cette banlieue conservatrice de Raleigh, qui ont ouvert dès le 15 octobre, Beth Bonnard assure avoir vu des signes encourageants pour Joe Biden :
« Beaucoup de femmes sont venues me voir pour me dire « Si mon mari savait que j’avais voté pour un démocrate il ne serait pas content du tout » ou alors « Je ne peux pas emporter un autocollant Biden à la maison parce que mon mari saurait que j’ai voté pour Biden » J’ai entendu la même histoire à plusieurs reprises » témoigne la militante.
Selon Christine Kelly, qui coordonne les efforts de campagne dans le district, la pandémie de coronavirus est l’un des facteurs qui pourrait pousser les femmes républicaines à voter contre Donald Trump « Nous les femmes, nous nous inquiétons pour nos enfants, pour nos familles, nous sommes celles qui, probablement plus que les hommes, avons vu la douleur provoquée le Covid-19, nous avons vu les gens tomber malades, nous avons besoin de dirigeants qui se soucient de la population » explique-t-elle.
Depuis des semaines, Donald Trump courtise le vote des femmes de banlieues. « Femmes des banlieues, je vous en prie, aimez-moi ! » a-t-il même lancé en meeting. Le président affirme qu’en cas de victoire de Joe Biden, ces quartiers résidentiels risquent d’être envahis par des populations moins fortunées, voire ravagés par des émeutiers.
Mais ce message n’a pas forcément atteint sa cible : la démographie des banlieues a changé, de multiples origines s’y côtoient désormais et beaucoup de femmes ont été sensibles à la cause défendue par le mouvement Black Lives Matter après le décès de Georges Floyd tué par un policier à Minneapolis. « Quand elles ont entendu Georges Floyd implorer pour sa vie, appeler sa mère, toutes les femmes, toutes les mères, ont été touchées, qu’elles soient républicaines ou démocrates, et cela a changé la donne. » estime Kissandra Flowers, une afro américaine du parti démocrate de Fuquay-Varina.
« Il est odieux mais je voterai pour lui »
Cary, dans la banlieue de Raleigh, a été désignée par un magazine américain comme la ville où les femmes ont le plus de succès aux États-Unis. Plusieurs critères ont été pris en compte dans le classement : le pourcentage de diplômées, le revenu moyen des salariées, et la proportion de femmes qui ont créé leur propre entreprise.
Les rues du centre sont bordées de panneaux électoraux, devant des maisons spacieuses. Un groupe de femmes suit un cours de yoga en plein air sur la vaste pelouse qui s’étend devant la bibliothèque. Rachel surveille ses enfants qui jouent près de la fontaine. Mère au foyer, elle se sait privilégiée, et votera Donald Trump pour éviter une hausse d’impôts. Elle ne croit pas Joe Biden quand il affirme que seuls les ménages dont les revenus sont supérieurs à 400 000 dollars par an seront soumis à une fiscalité plus contraignante. Mais elle n’est pas tendre avec le président :
« Est-ce que j’apprécie Donald Trump en tant que personne ? Non. Il est brutal avec les femmes, il dit beaucoup de choses stupides et je pense que c’est un narcissique. Mais ils le sont tous. Est-ce que je le trouve odieux ? Oui. Mais est ce que je peux voter pour quelqu’un d’odieux et qui sait ce qu’il fait ? Oui. On n’a pas besoin de l’aimer en tant que personne pour dire qu’il fait du bon boulot » explique-t-elle.
Un peu plus loin, Joy a installé une couverture sur la pelouse pour y installer ses deux jeunes enfants. Elle aussi votera pour Donald Trump, en raison de ses convictions religieuses. « Il est contre l’avortement, c’est essentiel pour moi, tant pis si sa conduite n’est pas forcément vertueuse » tranche-t-elle. Une autre femme, croisée dans les rues de Cary confirme l’antipathie qu’inspire le locataire de la maison blanche aux habitantes de cette banlieue coquette. Mais elle aussi donnera sa voix au président « comme toutes mes voisines » assure-t-elle.
« J’ai commandé des antidépresseurs en cas de mauvaise nouvelle le 4 novembre »
Devant le bureau de vote de Holly Springs, Erin Paré, candidate républicaine au parlement local tente de convaincre les électeurs. Elle évoque son mari militaire, son engagement dans la communauté, mais ne mentionne pas Donald Trump. Cela agace profondément Lynn Ruck qui tient le stand du parti démocrate. « Ils ont beaucoup de pancartes Trump mais ils ne restent pas à côté et ne les brandissent pas, pour la bonne raison qu’ils ne veulent pas être perçus comme des soutiens de Donald Trump, mais seulement comme des républicains conservateurs » analyse la militante.
Très inquiète quant à l’issue du scrutin, Lynn dit ne pas parvenir à surmonter son anxiété malgré des séances de yoga, de méditation, et de longues marches dans la forêt. « Je noie ma peur dans l’action : je téléphone à un maximum d’électeurs pour les pousser à aller voter pour Joe Biden, j’assure des permanences devant les bureaux de vote, je ne peux pas rester les bras ballants en attendant le résultat » commente cette mère de famille quinquagénaire avant d’ajouter « Mais j’ai déjà commandé des antidépresseurs en cas de mauvaise nouvelle le 4 novembre. »
Dans sa maison d’un lotissement situé juste à la sortie de Raleigh, Marian Lewin estime fondées les inquiétudes des démocrates. Présidente de la ligue du vote des femmes, une organisation qui milite pour leur implication en politique elle ne croit pas tellement à un renversement massif de tendance au sein de cet électorat en Caroline du Nord :
« Beaucoup de femmes soutiennent toujours Donald Trump. Je pense que l’idée qu’elles ne vont pas voter pour lui, en particulier les femmes blanches, est infondée pour la majorité. Cela s’est passé en 2018 et les démocrates espèrent que cela se reproduira mais je ne pense pas que cela sera le cas, l’enjeu est différent pour une présidentielle » annonce-t-elle, « elles rejettent sa personne, mais restent avant tout attachées aux valeurs conservatrices ».
Elizabeth, croisée à la terrasse d’un café de Cary, n’a envie de voter pour aucun des candidats. « En toute conscience je ne peux pas voter Donald Trump » lâche-t-elle, mais elle ajoute : « Mais je n’ai pas non plus envie de voter pour Joe Biden… Je ne veux pas d’un homme blanc de plus de soixante-dix ans à la Maison Blanche. Donc honnêtement je ne sais pas si je vais voter. »
Comme Elizabeth, un tiers de l’électorat féminin en Caroline du Nord est enregistré sous l’étiquette « indépendante » sur les listes électorales. La clé du scrutin est peut-être entre leurs mains.