Le « piège de Thucydide » est une théorie historique et géopolitique qui décrit un mécanisme récurrent : lorsqu’une puissance montante menace de supplanter une puissance dominante, la confrontation armée devient presque inévitable. Cette idée trouve son origine dans les écrits de Thucydide, historien grec du Ve siècle avant notre ère, auteur de La Guerre du Péloponnèse. Dans son œuvre, il analyse le conflit entre Athènes et Sparte, deux cités rivales dont la rivalité finit par plonger la Grèce antique dans une guerre longue et dévastatrice.
Thucydide y écrit cette phrase devenue célèbre :
« Ce fut la montée en puissance d’Athènes et la crainte que cela inspira à Sparte qui rendit la guerre inévitable. »
Cette observation simple mais profonde a traversé les siècles. Elle met en lumière une dynamique psychologique autant que stratégique : la peur. Lorsqu’un État établi sent son hégémonie menacée, il a tendance à réagir par la méfiance, la coercition, voire la guerre préventive. De son côté, la puissance montante se sent injustement entravée et réagit à son tour par la défiance et la provocation. Le cycle de la peur et de la réaction mutuelle s’enclenche, jusqu’à l’affrontement.
Dans l’histoire moderne, ce piège de Thucydide semble s’être reproduit à plusieurs reprises. Au début du XXe siècle, la montée de l’Allemagne impériale face au Royaume-Uni est souvent citée comme un exemple typique : la crainte britannique de perdre sa suprématie maritime contribua à l’engrenage qui mena à la Première Guerre mondiale. Plus récemment, cette grille de lecture a été remise au goût du jour par le politologue américain Graham Allison pour analyser les relations entre les États-Unis et la Chine. Washington, puissance dominante depuis 1945, voit en Pékin une menace économique, technologique et militaire croissante. Pékin, de son côté, estime légitime de revendiquer une place de premier plan. La tension entre ces deux géants incarne parfaitement le dilemme décrit par Thucydide il y a 2 400 ans.
Mais le piège n’est pas fatal. Dans plusieurs cas — comme la transition entre la domination britannique et américaine au XIXe siècle — la rivalité ne déboucha pas sur la guerre. Cela montre qu’il est possible d’échapper au piège de Thucydide par la diplomatie, la coopération et la maîtrise des peurs réciproques.
Ainsi, ce concept rappelle que les guerres ne naissent pas seulement des ambitions, mais aussi des émotions collectives : la peur de décliner, la volonté de s’affirmer. Et comprendre ce mécanisme, c’est peut-être la meilleure façon d’éviter qu’il se répète.
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