C’est l’un des épisodes les plus sombres – et les plus méconnus – de l’histoire coloniale moderne : entre 1879 et 1911, la Peruvian Amazon Company, une entreprise britannique opérant dans la région amazonienne du Pérou, a organisé un véritable système d’esclavage, de torture et d’extermination des populations autochtones. Son but : exploiter à tout prix le latex, l’or blanc de l’époque. À la tête de ce système, un homme : Julio César Arana, commerçant péruvien devenu magnat du caoutchouc… et bourreau impuni.
Tout commence avec l’explosion mondiale de la demande de caoutchouc naturel, indispensable à la fabrication des pneus, des câbles et des machines industrielles. En Amazonie, la sève de l’hévéa devient une ressource stratégique. Arana fonde alors un empire sur les rives du fleuve Putumayo, aux confins du Pérou, de la Colombie et du Brésil. Mais cette jungle luxuriante est habitée : les peuples indigènes y vivent depuis des millénaires. Pour Arana, ces communautés ne sont pas des partenaires, mais de la main-d'œuvre gratuite.
Les pratiques de la Peruvian Amazon Company sont d’une brutalité inimaginable. Des tribus entières sont réduites en esclavage, forcées à extraire le latex sous peine de mort. Les travailleurs sont attachés, fouettés, mutilés, parfois brûlés vifs ou décapités. Femmes et enfants sont violés, affamés, utilisés comme monnaie d’échange ou tués pour l’exemple. Selon les rapports de l’époque, 90 % des esclaves meurent au cours de leur "emploi".
Mais l’histoire ne reste pas entièrement cachée. Dès 1909, des lanceurs d’alerte, comme Roger Casement, diplomate britannique, révèlent l’horreur dans des rapports accablants. Un ancien employé de la compagnie, Walter Hardenburg, publie aussi un témoignage détaillé dans la presse anglaise. L’affaire provoque un scandale international. Le Parlement britannique diligente une enquête ; la presse parle d’un "Congo péruvien", en référence aux atrocités du roi Léopold II au Congo belge.
Et pourtant… Julio César Arana ne sera jamais puni. Au contraire : il obtient la nationalité britannique, se fait élire sénateur au Pérou, et meurt en homme libre, honoré par une partie de l’élite locale. Aucun procès, aucune réparation, aucun monument pour les victimes. Le Putumayo, théâtre de ce génocide, retombe dans l’oubli.
Ce silence, longtemps maintenu, commence à se fissurer. Des historiens, des associations indigènes et des documentaires ravivent aujourd’hui cette mémoire effacée. Car comprendre pourquoi ce crime est resté impuni, c’est aussi interroger les liens entre pouvoir économique, silence diplomatique et impunité coloniale. Une leçon d’histoire… et de justice différée.
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