En 2018, un mouvement de boycott spontané lancé sur les réseaux sociaux cible trois marques perçues comme symboles de la vie chère au Maroc. Parmi elles, Centrale Danone, filiale du géant français de l’agroalimentaire, subit de plein fouet la colère des consommateurs. Chiffre d’affaires en chute libre, image écornée et retrait de la Bourse… Retour sur une crise qui a marqué les esprits.
L’histoire commence discrètement, presque anonymement, sur Facebook. Quelques messages appellent les Marocains à boycotter trois marques accusées de pratiquer des prix excessifs : le carburant des stations Afriquia, l’eau minérale Sidi Ali, et les produits laitiers de Centrale Danone. L’un des slogans partagés sur les réseaux résume l’état d’esprit des initiateurs : « Le boycott est plus fort que la manifestation. Ce n’est pas un acte ponctuel, c’est une résistance quotidienne ».
Très vite, le mouvement prend de l’ampleur. Selon plusieurs sondages relayés à l’époque, 57 % des Marocains informés du boycott affirment avoir cessé d’acheter au moins une des trois marques concernées. En tête de cette fronde pacifique, la classe moyenne, étranglée par la cherté de la vie et de plus en plus frustrée face à l’immobilisme des autorités.
À ce moment-là, le Maroc représente 45 % du chiffre d’affaires africain du groupe Danone. Un marché stratégique. Mais pour l’économiste Abdelghani Youmni, cette réaction populaire est le symptôme d’un malaise plus profond : « La classe moyenne marocaine, qui a mis seize ans à se construire, est en train de s’effriter. Elle perd pied à cause du coût de la vie, du crédit, de l’éducation, du transport, de la santé… L’économie marocaine crée de la richesse, mais en dehors des Marocains ».
En mai 2018, après un mois de silence, le directeur général de Centrale Danone au Maroc, Didier Lamblin, prend la parole sur Atlantic Radio, une station privée marocaine. Le ton est grave : « L’impact est significatif sur nos ventes, sur nos parts de marché. Nous sommes obligés de prendre des mesures regrettables : suspendre une partie des volumes collectés chez nos 120 000 éleveurs ».
Les conséquences sont immédiates : des centaines de travailleurs licenciés, des coopératives de lait déstabilisées, et une colère qui monte encore d’un cran. Début juin, des employés de l’entreprise manifestent devant le Parlement à Rabat : « Le gouvernement est responsable. Ce n’est pas aux salariés de payer les conséquences de la hausse du coût de la vie », scande un manifestant.
Face à la crise, Danone tente une opération reconquête. En septembre, la marque annonce qu’elle vend désormais le litre de lait à prix coûtant, une mesure sans précédent. Mais rien n’y fait : les ventes continuent de chuter. Au total, Danone accusera une perte de 178 millions d’euros de chiffre d’affaires par rapport à l’année précédente.
Quelques mois plus tard, Emmanuel Faber, PDG du groupe, revient sur cet épisode marquant : « Nous vendions notre lait au même prix que nos concurrents. Mais Centrale Danone était perçue comme proche de la famille royale et de l’élite marocaine. Cela a facilité son boycott. »
Danone lancera par la suite une gamme de produits « solidaires » à bas prix, puis se fera discret. En 2020, Centrale Danone se retire de la Bourse de Casablanca. Les résultats financiers de la filiale ne sont désormais plus publics.