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Apr 2025
2m 32s

Dans l’enclave russe de Kaliningrad, des...

Rfi
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Le territoire de 15 000 mètres carrés frontalier de la Pologne, de la Lituanie et de la Biélorussie et relié à la Russie à travers les 70 kilomètres du corridor de Suwalki est à la fois une forteresse ultra-militarisée au bord de la mer Baltique et un territoire qui entretenait avant la guerre en Ukraine et les sanctions occidentales des liens étroits avec l’Europe. Reportage dans ce territoire « baromètre » des relations UE-Russie.

De notre envoyée spéciale à Kaliningrad,

Kaliningrad, fin de journée, un stade dans la ville. Une partie de football dans la lumière claire du printemps malgré le froid, des coureurs sur la piste et deux adolescents de 17 ans qui déboulent, sourire aux lèvres, mais visage sérieux. Pavel et Eugène sont venus s’entraîner pour leurs futurs concours d’écoles supérieures. Membres d’un des clubs militaro-patriotiques de la ville, ils visent des établissements d’études militaires supérieures prestigieux en Russie. Pavel postule à l'École navale de Saint-Pétersbourg, « parce que je considère qu'être militaire dans notre pays est un honneur » dit-il ; Eugène à l'École supérieure d'artillerie de Moscou. Ce dernier se définit comme « un patriote qui veut défendre son pays jusqu'à la dernière goutte de son sang ». Eugène se dit aussi « convaincu que les Iskander sont des armes de haute technologie capables d'accomplir n'importe quelle mission et fier que nos scientifiques puissent réaliser de telles performances avec cette arme ».

Les Iskander sont déployés à Kaliningrad depuis 2018. Ces missiles sont capables d’envoyer des charges conventionnelles ou nucléaires à 500 kilomètres et peuvent donc atteindre rapidement plusieurs pays voisins directs de cette enclave. Cette fierté de les héberger sur le territoire de Kaliningrad, également siège de la flotte russe de la mer Baltique, est évidemment partagée par le dirigeant de leur club qui a demandé à être présenté sous le pseudonyme sous lequel il dit être connu sur les réseaux sociaux et dans la région, celui de Maxim Maximosvky, 37 ans, fonctionnaire dans le civil, volontaire bénévole pour ce club.

« Les Iskander, c'est bien que tout le monde y pense et les craigne » avance-t-il. « C'est même très bien. C'est notre totem de protection. Bien sûr, nous sommes un os dans la gorge de l'Europe ». Reste que Maxim Maximosvky se présente comme très proche de la ligne de l’État russe en affirmant : « On ne peut pas dire que Kaliningrad est entourée par des pays ennemis. Pour moi, ils sont, comme Vladimir Poutine les a désignés, des pays "inamicaux". Il n’y a pas si longtemps, la population locale voyageait librement et souvent juste pour la journée en Pologne, en Lituanie, en Allemagne, par bus. La région était très tournée vers l’Europe, et ses habitants largement perçus dans le reste de la Russie comme presque Européens, tout en étant des citoyens russes. Mais quand les frontières ont fermé, ils sont devenus indésirables en Europe. Les citoyens de Kaliningrad se sont donc rappelés qui ils étaient et ont réorienté leur vie ».

En juin 2022, la tension est montée en flèche entre Kaliningrad et ses voisins.  Appliquant les sanctions européennes contre la Russie, la Lituanie a bloqué le transit par voie ferrée de certaines marchandises vers ce territoire. Moscou a dénoncé un « blocus ». Jusque-là, tous les mois, une centaine de trains de passagers et de marchandises non militaires reliaient Kaliningrad à la Russie continentale, en passant par la Biélorussie, alliée de Moscou, et la Lituanie, membre de l’Union européenne (UE) et de l’Otan depuis 2004. La mise en place de ce transit était l’une des conditions imposées à la Lituanie lors de son adhésion à l’UE.

Après une énorme exposition médiatique, les tensions officielles sont retombées. Mais aujourd’hui, Kaliningrad est surtout reliée pour le trafic des biens à la Russie par des ferrys venus de Saint-Pétersbourg, et si personne ne se plaint tout haut de ruptures d’approvisionnement, on soulève des problèmes de transit. Sous couvert d’anonymat, une cadre d’une usine de viandes a ainsi affirmé à RFI que ses camions vers la Russie continentale pouvaient être bloqués des jours entiers pour de longs contrôles douaniers organisés par la Lituanie, handicapant ainsi ses exportations, très dépendantes de dates limites de consommation. En 2023, des médias d’investigation comme Siena ont eux révélé que des engrais biélorusses sous le coup de sanctions européennes continuaient de transiter par le pays balte. Le ministère des Transports avait, dans la foulée, annoncé un renforcement des contrôles à toutes ses frontières.

L’inflation, elle, déjà très élevée en Russie, bat des records à Kaliningrad : + de 10 % rien qu’en décembre, selon les chiffres officiels de l’institut national russe Rosstat.

Fondateur il y a plusieurs dizaines d’années d’une entreprise de transport par camion, Serguey Gos affirme, lui, avoir réussi à gérer la nouvelle donne économique sans dommages durables. « Avant 2022, nous travaillions avec presque tous les pays européens, Italie, Autriche, Allemagne, France. De notre pays, nous amenions de la tourbe, du bois, beaucoup de matières premières, et nous importions certains composants ». Aujourd’hui, ce chef d’entreprise affirme avoir réorienté en quelques mois ses activités via les pays classés comme amicaux par la Russie : Turquie, Kazakhstan, Chine. Sa flotte de camions reste très européenne, mais pour ses nouveaux semi-remorques, il dit se fournir désormais auprès d’une usine locale.

Si Serguey Gos dit avoir parfaitement encaissé économiquement le choc de 2022 émotionnellement, c'est à ses yeux une autre affaire. « La manière dont les choses se sont passées entre nos collègues occidentaux et nous a été très laide. Et malheureusement, on s’en souvient encore. On attendait une commande d’équipement, elle était payée, et tout d’un coup, l’argent nous a simplement été renvoyé et on nous a dit qu’on ne recevrait rien. On devrait toujours se souvenir, avant de claquer la porte, qu’on pourrait devoir la rouvrir un jour ». Un discours qui résonne avec celui du Kremlin. Celui-ci milite pour la levée des sanctions, mais affirme toujours que ce n’est pas par nécessité économique, mais pour des raisons de principe.

À Kaliningrad, peu s’attendent à du changement en la matière. Serguey Gos résume l’état d’esprit général par cette formule : « les sanctions n’ont pas été imposées pour ensuite être annulées rapidement ». Les Européens ont eux réaffirmé leur position la semaine dernière : pas de levée de sanctions avant un retrait « inconditionnel » des forces russes d'Ukraine. 

Les tensions, elles, continuent à s’accumuler. Un représentant réputé de la communauté d’affaires de Kaliningrad a ainsi annulé une interview prévue avec RFI « en raison du dernier discours d’Emmanuel Macron ». Le président français avait, quelques heures, auparavant, dans une allocution télévisée, fustigé « l'agressivité » de Moscou « qui viole nos frontières » et face à laquelle « rester spectateur serait une folie ». Devant 15 millions de téléspectateurs, Emmanuel Macron avait aussi affirmé que la Russie était « devenue une menace pour la France et pour l'Europe », une Russie qu'il accusait de « tester nos limites dans les airs, en mer, dans l'espace et derrière nos écrans. Cette agressivité ne semble pas connaître de frontières ».

La Pologne ainsi que les pays baltes sont aujourd’hui engagés dans de coûteux travaux de fortification de leurs frontières avec la Russie. Poussés par l’inquiétude d’un conflit dans quelques années avec Moscou, ces dernières semaines la Lituanie annoncé quitter la Convention d’Oslo interdisant les bombes à sous-munitions, tandis que la Pologne et les trois pays baltes ont eux déclaré vouloir se retirer de celle bannissant les mines antipersonnel.

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