Aux États-Unis, après l’été animé par la grève de Hollywood, c’est l’automne qui promet d’être chaud sur le front social. 2023 est déjà une année bénéfique à la cause des salariés américains.
La grève du cinéma assure le spectacle depuis quatre mois. Elle est déjà plus longue que celle de 2007-2008, qui avait abouti à un accord après 100 jours d'arrêts du travail. Les négociations doivent reprendre le 8 septembre. Le conflit pourrait aussi se durcir, s’il est rejoint par les interprètes des jeux vidéo. Eux aussi sont très remontés contre la concurrence de l’intelligence artificielle, et exigent des augmentations substantielles.
Des dizaines d’autres mouvements de protestation ont surgi cette année aux États-Unis. Deux cent cinquante-et-une grèves ont été répertoriées par l'université de Cornell, dans l'industrie ou les services. Parfois les débrayages ont été évités de justesse. Fin juillet, le syndicat des teamsters, qui se dit le plus puissant d'Amérique du Nord avec derrière lui les 340 000 camionneurs d’UPS, a arraché un accord historique au transporteur. Les camions seront enfin équipés en climatisation. Ce conflit, redouté pour ses effets sur toute l'économie américaine, aurait été l'un des plus massifs de l'année.
Les usines de Detroit seront paralysées à partir de jeudi prochain si aucun accord n’est signé entre le syndicat de l’industrie automobile et les trois grands constructeurs américains. Les salariés de l'automobile sont plus déterminés que jamais, motivés et confiants. Le fond constitué par leur syndicat devrait leur permettre de maintenir durablement la pression.
Le nombre de grévistes américains a déjà bondi de 50% par rapport à l’an dernier et si l’automobile s’y met, 2023 sera une année record sur le front social, dépassant le pic de 2018. Il y a cinq ans le secteur public était surtout engagé, cette fois le privé tient le haut du pavé. Le marché du travail est favorable à cette recrudescence des mouvements sociaux. Étant donné que le chômage a quasiment disparu aux États-Unis, les salariés et leurs représentants savent qu'ils sont en position de force pour engager des bras de fer.
Le président américain dit ne pas croire à une grève de l'automobile et en même temps, il estime que l'union des travailleurs de l'automobile mérite un contrat plus favorable à la classe moyenne. L’opinion publique est aussi devenue plus attentive à la question sociale. Selon l'enquête de l'institut Gallup, près de 70% des Américains approuvent désormais l’action des syndicats.
Une évolution radicale par rapport aux quarante dernières années qui ont vu s'effondrer la popularité et le niveau d'adhésion aux syndicats. 20% des salariés américains étaient syndiqués en 1983. C'est seulement la moitié aujourd'hui, dans le seul secteur privé, ils sont seulement 6%. La grève des contrôleurs aériens de 1981 a été fatale aux luttes sociales. Ronald Reagan, le président de l'époque, brise le mouvement en licenciant les 11 000 grévistes.
La productivité a augmenté de 60% entre 1970 et 2020, mais les salaires horaires n'ont progressé que de 17%. Un PDG américain gagnait en moyenne vingt fois plus qu'un employé en 1965. En 2021, c'est 399 fois plus. La structure des emplois a changé également, avec l'externalisation et les délocalisations, auxquelles il faut ajouter les crises qui ont ravagé des pans entiers de l'industrie. Le syndicat de l'automobile a eu jusqu'à un million et demi d'adhérents, c'est dix fois moins aujourd'hui. L'urgence aujourd'hui pour les salariés américains n'est pas de revenir à cet âge d'or mais d'abord d'effacer les pertes de pouvoir d'achat sensibles depuis l'épidémie de Covid et renforcées aujourd'hui par l'inflation.