Aventurez-vous au cĆur de l'une des contrĂ©es les plus hostiles de la planĂšte aux cĂŽtĂ©s du capitaine John Franklin, dans ce nouvel Ă©pisode de Chasseurs de Science.
En 1845, les navires HMS Erebus et HMS Terror quittent un port d'Angleterre en quĂȘte d'une nouvelle route commerciale fendant les eaux glacĂ©es de l'Arctique. Ils sont alors loin de se douter qu'ils s'apprĂȘtent Ă s'engager dans une vĂ©ritable descente aux enfers, dont pas un seul membre de l'Ă©quipage ne rĂ©chappera.
Pour aller plus loin :
Transcription du podcast:
Bienvenue dans Chasseurs de science, un podcast produit par Futura. Je m'appelle Emma, et je serai votre guide temporelle au cours de cette excursion. Ensemble, nous lÚverons l'ancre dans un port d'Angleterre pour nous aventurer aux confins des étendues glacées et impitoyables de l'Arctique, sur les traces d'une expédition au sort tragique. Vous écoutez Chasseurs de sciences, si ce podcast vous plaßt, n'hésitez pas à le partager sur les réseaux sociaux et à nous laisser un commentaire.
Nous sommes en 1845, dans le port de Greenhithe, et deux des joyaux de la marine royale anglaise s'apprĂȘtent Ă quitter leur pays natal. Le HMS Erebus et HMS Terror sont des modĂšles d'avancĂ©e technologique pour leur Ă©poque : rapides et puissants, ils sont mĂȘme Ă©quipĂ©s d'un systĂšme de chauffage interne. De chauffage, ils en auront d'ailleurs besoin, car le capitaine Sir John Franklin s'apprĂȘte Ă mener son expĂ©dition, constituĂ©e de 134 officiers et membres d'Ă©quipage, dans les eaux gelĂ©es du cercle Arctique.
Au dĂ©but du XIXe siĂšcle, la majoritĂ© des ocĂ©ans a dĂ©jĂ Ă©tĂ© explorĂ©e et cartographiĂ©e. NĂ©anmoins, une terra - ou plutĂŽt une acqua - incognita demeure convoitĂ©e par de nombreux pays : le cĂ©lĂšbre passage Nord-Ouest, qui offrirait aux marins europĂ©ens la possibilitĂ© de joindre l'ExtrĂȘme-Orient sans avoir Ă contourner les AmĂ©riques ou l'Asie. Fendant les eaux au nord de l'Atlantique, traversant l'archipel arctique canadien et longeant la cĂŽte alaskienne, le passage devait dĂ©boucher sur l'ocĂ©an Pacifique via le dĂ©troit de Bering dĂ©couvert trois siĂšcles plus tĂŽt.Â
AprĂšs une traversĂ©e relativement paisible de l'ocĂ©an Atlantique, l'expĂ©dition Franklin s'arrĂȘte au Groenland pour un ultime ravitaillement. Cinq marins sont renvoyĂ©s chez eux pour raisons mĂ©dicales, portant avec eux les derniĂšres nouvelles que l'Angleterre recevrait de l'Ă©quipage, en route vers son inĂ©luctable disparition.
Ce ne sera que deux ans et demi plus tard, lors de l'hiver 1847 que la marine royale entendra enfin les sollicitations inquiĂštes de la femme de Sir Franklin et dĂ©pĂȘchera en 1848 une mission de sauvetage afin de retrouver le capitaine et ses hommes. Le premier indice est dĂ©couvert en 1850 sur l'Ăźle Beechey : trois pierres tombales, portant les noms d'un officier et de deux membres de l'Ă©quipage.
Grùce aux découvertes des décennies suivantes, et aux avancées de la science moderne, le sort de l'expédition Franklin a depuis été presque intégralement retracé et raconte l'histoire d'une terrible descente aux enfers.
Les dates inscrites sur les tombes indiquent aux historiens que deux des hommes seraient morts en janvier 1846, tandis que le troisiĂšme ne serait passĂ© Ă trĂ©pas qu'en avril de la mĂȘme annĂ©e. Ces Ă©lĂ©ments suggĂšrent que l'expĂ©dition aurait fait halte plusieurs mois sur l'Ăźle, afin de protĂ©ger les navires et l'Ă©quipage contre le dur hiver arctique, durant lequel les eaux se transforment en vĂ©ritable piĂšge de glace.
Une fois le printemps arrivĂ©, HMS Erebus et HMS Terror reprirent leur route vers le sud de l'archipel canadien, en direction de l'Ăźle King William, oĂč le passage tant espĂ©rĂ© devait se trouver. Ils Ă©taient alors loin de se douter qu'ils s'apprĂȘtaient Ă emprunter l'une des voies navigables les plus dangereuses de l'Arctique, et rapidement, les navires se trouvĂšrent complĂštement immobilisĂ©s. Un message laissĂ© par l'Ă©quipage sur l'Ăźle en mai 1847, via un dispositif dĂ©diĂ© Ă ce type de communication, indique que les navires avaient Ă©tĂ© emprisonnĂ©s par la glace par deux fois, lors des hivers 1846 et 1847.Â
Tout aurait pu suggérer que le voyage se déroulait sans autre encombre majeure si une note griffonnée dans un coin de la page n'avait indiqué une toute autre vérité.
RĂ©digĂ©e en avril 1848, celle-ci annonce la mort de Sir Franklin, de vingt-trois de ses hommes, et l'abandon des vaisseaux par l'Ă©quipage. Ces derniers, incapables de poursuivre plus loin par les eaux, s'Ă©taient donnĂ© pour objectif de rejoindre en traĂźneau puis en canot le comptoir commercial le plus proche, au nord du continent amĂ©ricain. De rĂ©cents carottages rĂ©vĂšlent que la rĂ©gion avait connu plusieurs annĂ©es particuliĂšrement froides, durant lesquelles la glace refusait de fondre mĂȘme en Ă©tĂ©, maintenant les navires dans un Ă©ternel joug de fer.
GrĂące Ă l'exhumation des corps de l'Ăźle Beechey en 1984, les scientifiques purent dĂ©couvrir l'origine des nombreuses morts qui pesaient sur l'expĂ©dition Franklin. Bien que les analyses rĂ©vĂšlent que les trois hommes Ă©taient morts de tuberculose ou de pneumonie, elles indiquĂšrent Ă©galement la prĂ©sence d'un Ă©lĂ©ment inattendu : un taux anormal de plomb fut mesurĂ© chez chacun d'eux. Afin d'affronter leur mission en eaux hostiles, HMS Erebus et HMS Terror transportaient en effet dans leur coque 3 ans de provisions sous la forme d'eau distillĂ©e et de boĂźtes de conserve, une invention rĂ©cente dont l'Angleterre comptait bien tirer profit. Malheureusement, il semblerait que soit l'eau, soit la soudure au plomb utilisĂ©e sur les boĂźtes, aient participĂ© Ă l'empoisonnement graduel d'une part importante des hommes de Franklin. RĂ©guliĂšrement affligĂ©s de migraines, de douleurs abdominales et musculaires, et d'un dĂ©clin progressif de leur systĂšme immunitaire, ceux-ci auraient sombrĂ© toujours plus profondĂ©ment dans la folie alors que leur esprit se trouvait assailli de pertes de mĂ©moire, d'hallucinations et d'Ă©pisodes paranoĂŻaques.Â
Un autre coupable, bien connu des marins, Ă©tait le scorbut qui causait des ulcĂšres nĂ©crotiques sur tout le corps, la perte des dents et des hĂ©morragies internes qui menaient inexorablement Ă la mort de la personne atteinte sans un traitement adĂ©quat. Les conserves de fruits et de lĂ©gumes Ă bord avaient bien pour but de pourvoir aux besoins en vitamine C des hommes d'Ă©quipage, nĂ©anmoins la marine ayant choisi de se fournir au plus bas coĂ»t possible, nombre d'entre elles Ă©taient improprement closes. Ce dĂ©faut de fabrication pouvait ĂȘtre responsable de la perte d'efficacitĂ© de la vitamine, mais Ă©galement de l'apparition de cas de botulisme. Ainsi, par-dessus les symptĂŽmes d'un potentiel empoisonnement au plomb et du scorbut s'ajoutaient la difficultĂ© Ă avaler, Ă parler et Ă respirer, une fatigue intense, des vomissements et une paralysie musculaire.
Il est possible que les membres de l'expĂ©dition se soient aperçus des problĂšmes de santĂ© causĂ©s par leurs provisions et aient choisi de chasser leur propre nourriture dans la mesure oĂč un phoque ou deux pouvaient ĂȘtre dĂ©busquĂ©s. Malheureusement, le botulisme E est endĂ©mique de la rĂ©gion, et transmissible aux humains via le gibier qu'ils consomment. Aujourd'hui encore, l'Alaska compte un nombre de cas de botulisme particuliĂšrement Ă©levĂ©, Ă l'origine de vĂ©ritables dilemmes socio-culturels et sanitaires.
En somme, rien que l'expédition Franklin eût pu consommer n'était sûr. Mais là encore, d'autre facteurs pouvaient intervenir dans la disparition des 105 ùmes restantes, dévorées par l'enfer glacé.
Une fois les navires abandonnĂ©s, alors qu'ils poursuivaient le reste du voyage Ă pied, les hommes durent tirer derriĂšre eux sur d'immenses distances les centaines de kilos de canots, de provisions et de malades qui les accompagnaient. La transpiration gĂ©nĂ©rĂ©e par ce dĂ©sagrĂ©able exercice gelait contre le corps tandis que les douleurs musculaires provoquĂ©es par les diffĂ©rentes maladies rendaient plus pĂ©nible encore cette marche sans fin. Le terrain, alternativement formĂ© de glace, de gravier, de pierres coupantes ou de sable s'Ă©tendait, impardonnable, Ă l'infini, portant en lui la menace d'une attaque d'ours polaire ou de barriĂšres infranchissables.Â
à l'époque victorienne, des témoignages d'Inuits et celui d'un explorateur européen furent collectés, ainsi que plusieurs objets ayant appartenu à l'équipage, attestant du fait que leurs routes s'étaient à un moment croisées. Les Inuits décrivirent également un campement dénombrant pas moins de 30 morts, et de sinistres vestiges humains suggérant des actes de cannibalisme ; une hypothÚse morbide qui sera plus tard confirmée par les scientifiques.
Au final, pas un seul des hommes de l'expédition Franklin n'aura survécu pour raconter sa véritable histoire. Quelques 60 ans plus tard, le célÚbre aventurier Roald Amundsen devenait le premier explorateur connu à franchir le passage Nord-Ouest. Puis, un jour, en 2014 et 2016, les vestiges du HMS Erebus et HMS Terror étaient enfin découverts sous les eaux terribles de l'Arctique.
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